La première rencontre avec Didier Dagueneau a eu lieu pour moi en 2004. Un article, une rencontre et un début d’amitié. Le personnage était si riche, si beau, si émouvant. Avec son épouse Suzy et leurs enfants, ils nous ont ouvert les portes de leur maison, nous offrant des moments intenses et doux. Et puis, en septembre 2008, la nouvelle est tombée. Didier s’était tué dans un accident d’ULM. Des mois après, aucun de ses proches ou de ses amis plus lointains n’a encore réussi à digérer la nouvelle. Il nous manque…
Cet article est celui que je lui ai consacré lors de notre première entrevue.
Réputé pour ne pas souvent recevoir dans ses chais de Pouilly-sur-Loire, le vigneron français Didier Dagueneau, référence mondiale en matière de Sauvignon, a fait une exception. Récit d’une visite à un personnage hors du commun.
À Pouilly-sur-Loire (Nièvre) où il habite, aucun panneau n’indique le domaine de Didier Dagueneau, contrairement à ceux de ses collègues viticulteurs. Considéré comme l’un des meilleurs producteurs de Sauvignon de la planète par les spécialistes, l’homme a horreur du tape-à-l’œil. « Ceux qui me cherchent se renseignent auprès de la mairie, lance-t-il, goguenard. Et ils arrivent toujours à me trouver! »
Cheveux longs et barbe fournie, le talentueux vigneron de l’appellation Pouilly-Fumé a la réputation d’avoir du caractère. Il en faut pour avoir créé des vins de réputation internationale, alors qu’il est parti de rien. Malicieux, le maître des lieux a fait poser, bien en vue sur la porte de sa cave, des armoiries un peu particulières. Pas de lettres joliment entrelacées, non. Juste un bras replié, poing en l’air, dont le biceps musclé est tâté par la main droite. Les uns estiment que la sculpture symbolise la force. D’autres y voient un bras d’honneur aux conventions. Le viticulteur, lui, sourit dans sa barbe et ne se prononce pas…
PRECIEUSE ASTEROIDE
À force de persévérance, Didier Dagueneau a acquis, à Pouilly, un peu plus de 12 hectares de parcelles viticoles, toutes cultivées en Sauvignon. Sur la butte de St Andelain, il soigne les ceps fournissant la prestigieuse cuvée Silex, du nom des pierres qui y enrichissent le sol composé d’argile et de calcaire. La parcelle cadastrée »Buisson Renard », très riche en manganèse, donne, elle, une cuvée particulière.
Quelques kilomètres plus loin, sur la parcelle dite « De la Folie », les premiers rangs sont plantés en vigne franche de pied. Une vigne pure, non greffée. Il en élabore une cuvée d’une finesse étonnante, « Astéroïde », produite à quelques centaines d’exemplaires seulement. Commercialisés à 450 euros la bouteille, seuls 150 flacons sont distribués à travers le monde. Le reste de la parcelle donne une cuvée dénommée « Pur-Sang », d’une grande pureté.
EXCELLENCE RECOMPENSEE
Le vigneron de Pouilly vise l’excellence depuis toujours. Il récolte d’ailleurs les lauriers du travail titanesque qu’il fournit sur son domaine: les guides les plus prestigieux multiplient les qualificatifs élogieux pour parler de ses vins. Le « Bettane et Desseauve 2005″ n’hésite pas à écrire, en parlant de lui: « Nous tutoyons ici le sommet absolu de la production mondiale de blanc sec ».
Tout son raisin est éraflé et égrappé avant que les vins ne soient élevés en fûts dans une cave étonnamment parfumée. Toutes les installations sont modernes, performantes, impeccablement entretenues. Sous ses airs nonchalants, Didier Dagueneau est un perfectionniste. La rumeur veut qu’il reçoit rarement, préférant déléguer l’accueil des visiteurs. En fait, l’homme est un travailleur acharné. Aux petits soins pour sa vigne, il lui consacre ses journées, passionné par son travail. Mais lorsqu’il trouve le temps de recevoir les passants, il révèle de lui une facette particulièrement attachante de sa personnalité. Bon vivant, cet hôte généreux a le cœur sur la main, le verbe haut et le rire au bord des lèvres. Père tendre avec ses enfants, il est attentionné avec sa femme, Suzy, et ses amis. Et n’hésite pas à ouvrir une bouteille de la rarissime Astéroïde pour accompagner le repas auquel il convie les nouveaux venus avec lesquels il sympathise.
MULTIPLE CHAMPION
Outre la vigne, Didier Dagueneau cultive une autre passion, qu’il partage avec sa femme: les courses de chiens de traîneaux. Captivé par les récits de Bernard Clavel, de Jack London et de bien d’autres, il s’est lancé dans l’aventure en 1993. Le Québec et le Vercors ont été le berceau de ses premiers pas en compagnie de ses chiens. De fil en aiguille, comme il ne fait jamais les choses à moitié, il a commencé la compétition, raflant au passage les titres de champion de France, d’Europe et du Monde. Il a ensuite créé et organisé une course, « l’Alpirusch », qui se déroule chaque année sur une semaine dans le Vercors.
Aujourd’hui, une trentaine de chiens Alaskans gravitent autour de la maison, choyés par leurs maîtres. Suzy et Didier, après une longue parenthèse due à la naissance de leurs deux fils, vont reprendre la compétition. Pour cela, ils montent actuellement un nouvel attelage qu’ils vont entraîner dans le but d’être compétitif dès l’hiver prochain.
« LE SECRET? LE SAVOIR-FAIRE! »
En attendant de reprendre les chemins de glace, Didier Dagueneau soigne la prochaine récolte dans le même esprit qu’il prépare ses courses: « J’ai longtemps fait du motocross, ce qui a développé mon esprit de compétition. J’aime faire tout le mieux possible. Le vin est pour moi un produit culturel. Il faut qu’il représente un lieu, une culture, un terroir, qu’il ne soit pas aseptisé. Pour cela, il faut la transmission d’un savoir-faire, d’une identité, et ne jamais faire un vin en fonction du goût des gens. Pour moi, c’est le secret. J’essaye bien sûr de produire un vin que les gens vont goûter et aimer. Je ne copie pas ce qui se fait ailleurs, mais je prends le bon partout. Comme j’ai beaucoup voyagé, cela m’a permis de m’ouvrir l’esprit. Et d’en faire profiter mon vin! »
Martine Bernier