Le journalisme est un métier de rencontres. Et j’ai la chance de faire partie de ceux et celles qui en ont fait beaucoup, et de très belles. Des personnalités connues ou pas qui, toutes, m’ont laissé un souvenir plus ou moins marquant.
Mais jamais je n’oublierai la première. Parce qu’elle a eu lieu dans des circonstances insolites.
J’avais 24 ans ou 25 ans, n’avais pas encore passé mon diplôme de journaliste et travaillais comme pigiste dans un journal local.
A l’époque, j’habitais Leysin, une station de sports d’hiver des Alpes suisses. Station qui avait, par le passé, accueilli le chapiteau de la BBC où se déroulaient des émissions de variétés prestigieuses réunissant les plus grandes stars de la chanson. Beaucoup terminaient leur séjour par un passage dans un restaurant où j’avais mes entrées: le Vieux Leysin. Comme bien d’autres, j’ai pu assister depuis le bar, à des moments de musique pure où s’éclataient le groupe Abba, Michael Jackson lorsqu’il faisait encore partie des « Jackson Five », Sacha Distel etc…
En 1987, la nouvelle est tombée: un festival rock serait organisé à Leysin, réunissant les plus grandes vedettes en concert à ciel ouvert dans la montagne. A la base de l’aventure: Gérard Héritier. Jusqu’en 1994, le festival fera venir la crème des artistes dans la station. Souvent sous des trombes d’eau… ce qui a précipité sa perte. Je me souviens d’un concert apocalyptique de Bob Dylan, où c’est à peine si l’on pouvait encore distinguer la scène…
J’ai très rapidement convaincu ma rédaction que j’étais la personne idéale pour « m’occuper » de la manifestation pour notre journal. La plupart de mes « chefs » se sont copieusement moqué de moi. Ils avaient raison: j’étais inconsciente de la difficulté. A côté des revues internationales, jamais les organisateurs n’inviteraient le « Journal du Chablais » à leurs conférences de presse. Et certainement pas s’il était représenté par une pigiste, qui plus est. « Mais bon, vas-y essaye… »
J’ai commencé par écrire des papiers d’ambiance. Emmenant mes deux fils, hauts comme trois pommes, dans mon sillage, j’ai assisté aux premiers concerts, ai sympathisé avec les organisateurs, les représentants des maisons de disques, les membres de la sécurité…
Jusqu’au jour où j’ai découvert que serait invité Maxime Leforestier.
LE Maxime Leforestier dont je connaissais toutes les chansons, jouées à la guitare pour mes enfants (oui, chez nous, pas de berceuses: du folk!).
Lorsque mes collègues ont réalisé que je voulais absolument décrocher une interview de l’homme en question, ils ont souri. Les paris étaient pris, et j’avoue que je ne partais pas gagnante…
J’ai donc confié mes enfants et mon chien à une amie, ai pris mon carnet, mon stylo, et suis partie naïvement à la chasse à l’interview.
Grâce à un membre de l’organisation, j’avais hérité d’un badge « presse » bien utile pour franchir les premiers barrages. Restait à atteindre le Graal.
Arriver aux « loges » des artistes (casés dans des conteneurs…) tenait du parcours du combattant. Mais les hommes de la sécurité commençaient à me connaître et semblaient avoir pris en sympathie cette petite scribouillarde décidée à faire ses preuves.
Ne me demandez pas comment j’ai fait… toujours est-il que je me suis retrouvée devant la porte du conteneur de Maxime Leforestier, avec une consigne de celui qui m’y avait conduite: « Ecoute. Il chante ce soir. Auparavant, il doit donner une série d’interviews. Tes collègues sont installés en salle de presse. Toi, tu vas attendre ici, dehors. Et dès que tu verras que la liste des rendez-vous est terminée, tu essayeras de passer. Il te donnera peut-être 5 minutes. »
J’ai donc pris mon mal en patience. Il en fallait: j’ai attendu près de 4 heures. Comme si attendre ne suffisait pas, la pluie s’est invitée. Une véritable pluie diluvienne, plus proche de la mousson que de l’averse. J’étais détrempée, grelottante, mais présente. Au bout de quatre heures d’un défilé interminable de journalistes représentants des revues connues (et secs car issus de la salle de presse ou munis de parapluies), le dernier a quitté la loge.
Maxime Leforestier, le raccompagnant à la porte, a passé la tête dehors et m’a vue.
Il m’a dit: « Mais.. vous êtes trempée! »
– Heu… oui… on peut dire cela!
– Vous attendez depuis longtemps?
– Environ 4 heures.
– Sous la pluie?? Mais… pour me voir??
– Oui, si c’est possible… je sais que je n’ai pas rendez-vous et que je travaille pour un journal local, mais si je n’obtiens pas cette interview, à mon avis, je suis renvoyée.
Pieux mensonge: je ne pouvais pas l’être puisque je n’étais pas engagée!
Il a ri et m’a fait entrer, ayant sans doute pitié de cette serpillière vivante aux longs cheveux dégoulinants.
La loge était minuscule. Il m’a fait asseoir à côté de lui dans un petit canapé en angle.
Très civilisé, il m’a offert de partager des chips.
Je n’ai pas osé dire non. Et très émue de me retrouver face à l’objet de toutes mes convoitises (si j’ose dire!)… je me suis étranglée avec la chips en question.
Adorable jusqu’au bout des ongles, il m’a tapoté dans le dos, en riant toujours.
J’ai sorti mon carnet de ma veste en jean. Il était imbibé d’eau, à tel point que l’encre de mon stylo était bue au fur et à mesure que j’écrivais.
Je lui ai avoué que je procédais là à ma première interview d’artiste. Et que, à mon avis, ça commençait plutôt mal.
Il m’a rassurée, m’a mise à l’aise en m’interrogeant sur moi, mes enfants, m’indiquant qu’il avait un fils du même âge que le mien.
J’ai compensé mon manque d’expérience et mon trac, par une connaissance de son répertoire que je connaissais par coeur, et par une sincérité qui devait être désarmante si j’en crois la manière dont il s’est comporté avec moi.
Il a été … plus que gentil.
Parce que je lui ai dit que c’était une chanson que j’aimais beaucoup, il a pris sa guitare et m’a chanté « Fontenay-aux-roses ».
Nous avons passé une grosse demi-heure à parler avant que je prenne congé, confortablement perchée sur mon nuage.
Je suis rentrée chez moi et j’ai écrit dans la foulée, un texte enthousiaste et plutôt amusant.
J’avais même réussi à obtenir une photo… que la rédaction ne m’a jamais rendue, trop contente de pouvoir la garder.
Je ne sais pas ce qui a le plus marqué: le fait d’avoir envoyé cet article ou d’avoir décroché ce premier rendez-vous.
Toujours est-il que j’avais réussi là où certains collègues locaux avaient renoncé.
Cet article m’a ouvert de nombreuses portes, notamment au Festival où, par la suite, j’ai obtenu des interviews de stars plus connues les unes que les autres.
Peu de temps après, d’autres journaux, plus importants, me faisaient des avances.
Moi, je n’ai jamais oublié la gentillesse avec laquelle m’a reçue Maxime Leforestier, en toute simplicité, alors qu’il devait avoir une indigestion totale de journalistes, ce jour-là…
Martine Bernier