L’exercice de l’interview par téléphone peut être extrêmement risqué. Si le contact passe mal, toute la démarche peut en souffrir. C’est donc avec une légère appréhension que j’ai appelé Philippe Turchet, auteur du best-seller « La synergologie », pour notre rendez-vous téléphonique, ce mardi matin. Inquiétude infondée: malgré une communication rendue un peu délicate par l’utilisation de deux mobiles, ce fut passionnant. Récit d’une rencontre autour de l’étude du langage du corps, à l’occasion de la sortie du dernier ouvrage de Ph. Turchet: « Le langage universel du corps »
– Vous décryptez depuis vingt ans le langage du corps. Mais qu’est-ce qui vous a amené à étudier ce sujet?
Pour les besoins de mon doctorat en sciences humaines, en 1987, je travaillais sur une recherche concernant la rationalité du comportement. Pourquoi certains individus réussissaient-ils mieux que d’autres? Nous savions qu’il ne s’agissait pas forcément d’une simple question d’intelligence. J’ai été voir du côté de l’ethno psychanalyse, et j’ai trouvé un texte renversant sur la communication non verbale. Il parlait de la relation entre une mère et son enfant. D’un côté, elle l’appelait, mais de l’autre elle reculait en fermant les bras. Elle lui envoyait des messages contradictoires. Le sujet m’a passionné.
– Dans vos ouvrages, vous expliquez que notre corps traduit nos émotions à travers nos gestes, nos mimiques, nos expressions, nos tics. Est-il possible de faire mentir notre corps?
Non. On ne peut pas le maîtriser suffisamment pour lui faire dire ce que nous voulons qu’il dise. Vous ne pouvez pas empêcher votre estomac de digérer. C’est la même chose. Notre système neurovégétatif ne se contrôle pas, et c’est lui qui traduit nos émotions.
– Vous êtes passé maître dans l’art de traduire le langage corporel. Cela ne fausse-t-il pas les contacts que vous pouvez avoir avec les autres?
Non, et ce que l’on cultive dans les cours de formation (NDLR: ces cours de synergologie comprennent 300 heures sur une durée de trois ans). Lorsque l’on est en relation avec quelqu’un, on ne pratique pas de synergologie. Je ne fais pas attention à cela lorsque je parle à une personne. Ce qu’elle dit est tout aussi important que le langage gestuel. Parfois, dans la conversation, elle peut avoir un geste curieux ou bizarre. Et cela peut faire que l’on va s’y intéresser, mais ce n’est pas systématique. L’inverse est également important: il ne faut surtout pas essayer de contrôler son corps. Au contraire, laissez paraître vos émotions.Si votre interlocuteur se rend compte que quelque chose vous gêne, il va modifier son discours, sa façon d’agir. Il faut laisser les autres lire en vous. Les meilleurs négociateurs montrent ce qu’ils ressentent. Il faut être vrai, authentique. Même si ces mots sont galvaudés, ils traduisent bien ma pensée.
– D’une culture à l’autre, nous n’avons pas forcément les mêmes gestes pour dire les choses. Certaines attitudes sont propres à certaines cultures, pas à d’autres. Risquons-nous de mal interpréter les codes corporels si nous communiquons par exemple avec une personne asiatique?
Justement non. Le langage est la dernière couche de culture venue se poser sur notre cerveau. En dehors d’un faible pourcentage de gestes typiques à tel ou tel peuple, le langage du corps est universel. Je dirais plutôt que c’est l’amplitude et la fréquence du geste qui ne sont pas les mêmes. Ceux qui se donnent le droit d’exprimer une émotion le font de manière plus ample. Mais une personne venue d’Asie, pour reprendre votre exemple, aura le même geste beaucoup moins ample, plus discret, mais plus fréquent.
– Vous dites aussi que nous avons une certaine partie de notre gestuelle en commun avec les grands singes…
C’est exact! Ce qui prouve qu’il y a vraiment quelque chose qui nous rapproche. Par exemple les micro démangeaisons. Plus nous sommes détendus, plus nous avons tendance à nous gratter le nez, la tête, les oreilles etc à gauche. Et plus nous sommes énervés, plus nous nous grattons du côté droit. Dans le même genre de situations, les grands singes réagissent de la même façon. Par contre, jamais un singe n’aura un geste de partage gratuit, comme celui de montrer le soleil qui brille. Montrer une chose veut dire, pour lui, qu’il la veut.
– Pour les personnes que vous formez à la synergologie, vous filmez des sujets dont un ment et vous expédiez ces vidéos à vos élèves à l’autre bout du monde. Elles sont diffusées en coupant le son et les spectateurs doivent définir qui ment. Et vous me disiez que les Suisses font partie de ceux qui sont le plus difficiles à cerner dans ces tests de détection du mensonge?
Oui! Les Québécois ont toujours des difficultés à décoder les mensonges suisses! Ils reconnaissent vite les Suisses par leur physique, mais on beaucoup de mal à décrypter leurs expressions ou gestes car ils sont beaucoup moins exubérants que les Espagnols, par exemple. Les Français sont assez semblables aux Suisses, sauf si vous descendez vers le sud. Il y a très peu de différences entre un Parisien et un Romand. Du moins si vous coupez le son!
– Vous êtes souvent sollicité par les médias pour décoder les comportements de personnalités connues. Y en a-t-il qui vous fascinent plus que d’autres?
Les grands communicants ne sont pas là où ils sont par hasard. Il y a chez eux un tel désir, une telle envie de convaincre qu’ils ne peuvent qu’attirer l’attention. Nicolas Sarkozy est passionnant à décrypter. Je le ressens sincère, mais il est plein de contradictions. Il a beaucoup de mal à contrôler ses émotions, contrairement à Barack Obama, passionnant lui aussi. Avant son arrivée à la présidence, j’ai visionné douze heures de ses discours. Je n’ai jamais vu un geste dont on peut dire qu’il est uniquement culturel. Tous son langage corporel est compréhensible par tout le monde. Indéniablement, il dégage quelque chose de très fort. Il est toujours en mode d’analyse, il prend un certain recul dans la communication avec ses interlocuteurs. Il ne se relâche qu’avec sa femme et ses filles.
– A présent que vous avez formé des personnes capables d’enseigner à leur tour la synergologie, le nombre de personnes intéressées ne cesse d’augmenter. Qui sont vos élèves?
Ils viennent de tous horizons. La synergologie peut aussi bien être utile à un médecin qui pourra percevoir ses patients plus facilement, qu’à un enseignant qui comprendra mieux ses élèves…
– Après tant d’années passées à étudier le langage du corps, avez-vous le sentiment d’être arrivé au bout de votre travail?
Non! Maintenant, il faut la faire entrer dans de nouveaux univers. La synergologie peut être très utile dans de nombreux domaines, comme la médecine. Elle a une multitude de champs d’application!
Martine Bernier
« Le Langage Universel du Corps », Philippe Turchet, Les Editions de L’Homme.
Blog de Philippe Turchet:
http://philippeturchet.blogspot.com/2009/02/non-verbal-qi-et-reconnaissance-sociale.html