Il s’appelait Paul.
Chaque année, le 1er février, je me souviens que c’était le jour de sa naissance.
Au fil des années, durant quarante ans, j’ai reconstitué la trame de sa vie.
Ce que j’en ai su par moi-même, d’abord: trois enfants, marié à une femme qui ne voulait pas travailler (ce qui n’était pas anormal dans les années 50 – 60), avait un caractère un peu capricieux de jeune femme gâtée par ses parents, ne s’intéressait pas à grand-chose.
J’ignore s’il était très heureux en couple, mais il aimait ses enfants.
Perfectionniste, tourné vers les technologies modernes, il subissait un stress qui a sans doute été responsable de sa disparition prématurée, à l’âge de 46 ans.
Grâce aux témoignages de ceux qui l’ont bien connu, j’ai découvert sa personnalité, son caractère, son passé..
Même s’il reste une ombre parmi les ombres…
Un jour, son frère, beaucoup plus jeune que lui, m’a donné une lettre, véritable relique.
Paul avait 18 ans lorsqu’il l’a écrite.
La Belgique, où il vivait, était alors un pays occupé, en guerre.
Dans la candeur, la fougue et l’esprit romanesque de son âge, Paul est allé expliquer à des soldats Allemands ce qu’il pensait de leur présence.
Son discours n’a visiblement pas plu.
Il est passé à un cheveu du peloton d’exécution.
Un homme lui a sauvé la vie, le faisant passer pour fou et le faisant interner provisoirement.
C’est depuis cet asile où il est resté quelque jours, entouré de personnes malades mentales, qu’il a adressé cette lettre à ses parents.
Une écriture déjà fine et élégante, un discours désolé et respectueux, un désespoir de se retrouver dans un tel endroit où les patients hurlaient jour et nuit.
Si cet homme, qui était je crois le bourgmestre de l’endroit, ne lui avait pas sauvé la vie ce jour-là, je ne serais pas là.
Paul était mon père.
Martine Bernier