Lorsque j’ai passé mon diplôme de journaliste, j’avais reçu la note maximale pour un billet d’humeur humoristique que j’avais écrit sur ma façon de concevoir le football, assez semblable à celle du très regretté Pierre Desproges.
Vendredi soir, pour des raisons qui me sont propres, j’ai décidé de m’attaquer à un monument international, le rugby, en tentant de suivre intégralement le match Pays de Galles — France.
Dès les premières minutes, j’ai vraiment eu le sentiment de débarquer sur une autre planète.
Celle des « gueules cassées », des « durs », du fair-play, aussi, tant sur le terrain que sur les gradins.
Les physiques des rugbymans n’ont rien à voir avec ceux des footballeurs, avouons-le…
Dès les premières secondes, on comprend que personne n’est là pour plaisanter.
Lorsque les joueurs arrivent sur le terrain, c’est pour en découdre, pas pour faire joli.
L’entrée de l’équipe galloise rappelait réellement ce que devait être l’arrivée des gladiateurs dans l’arène…
Premier étonnement: la minute de silence respectée à la mémoire de la mère d’un joueur, décédée dans la semaine.
Un silence de plomb dans un stade plein à craquer, c’est impressionnant.
Un grand respect.
Pas un sauvage pour le rompre…
Idem pour les hymnes nationaux,chantés à l’unisson, à gorges déployées. Presque tous les joueurs le partagent, soutenus par des supporters qui chantent, eux aussi.
Surprenant…
Viens ensuite le moment du premier coup de sifflet.
Ne me demandez surtout pas de vous expliquer les règles de ce jeu un peu curieux quand même, j’en serais incapable.
J’ai compris qu’il fallait plaquer le ballon au-delà des lignes du camp adverse, que, de temps en temps, un joueur était désigné, après une faute, semble-t-il, pour aller expédier ce drôle de ballon ovale entre deux immenses piquets. Que, dans ces moments-là, le monde retient son souffle avant d’exploser de joie ou de déception, en fonction de la réussite du tir et du camp auquel on appartient…
J’ai vu qu’ici, personne ne fait semblant de tomber en grimaçant et en se tenant une jambe en hurlant, attirant l’attention de la planète entière sur le fait qu’il est à l’article de la mort, avant de se relever trois minutes plus tard pour gambader comme un joyeux cabri.
Non, rien à voir.
Ici, ces gais lurons se rentrent dedans comme une armée de bulldozers, se bousculent, se plaquent au sol, se renversent, s’enchevêtrent au point qu’il est difficile de dire à qui appartient tel bras ou tel jambe.
Ils doivent être couverts de coups et de bleus lorsqu’ils quittent le terrain, mais pas un ne se plaint.
Lorsque l’un d’eux est blessé, il ne fait pas semblant. Il saigne comme une fontaine à grenadine, ne geint pas, et ne se laisse soigner que dans l’espoir d’aller se joindre à nouveau ses petits camarades.
Des hommes, des vrais, comme dirait je ne sais plus qui, que l’on n’imagine pas se plaindre pour un rien.
Le grand mystère du rugby réside, pour moi, dans ce que l’on nomme savamment « la mêlée ».
Deux groupes s’enlacent, que dis-je, se soudent, se font face et se ruent l’un sur l’autre, formant une espèce de tortue humaine sous la carapace de laquelle un petit malin jette le ballon.
Ce qui se passe dans ces moments-là est une énigme… toujours est-il que le ballon, complètement paniqué, finit par émerger, par être récupéré et réexpédié plus loin.
Inutile de préciser qu’être ballon dans un match de rugby relève du plus terrible des karmas.
Ils sont jetés, écrasés, frappés, plaqués… mais eux ne l’ont pas choisi!
Quand une équipe sent qu’elle est en danger, elle redouble d’énergie, de violence.
Mais dans le camp adverse, la garde veille, forme un mur humain bien décidé à ne pas être franchi…
Et moi, quand je regarde, je ne peux m’empêcher de visualiser certaines scènes des albums d’Astérix lorsque les Gaulois s’en prennent aux Romains…
Bref, vendredi, si j’ai bien tout compris, la France a gagné, sans que les Gallois aient pour autant démérité.
Et le public, me direz-vous?
Aussi étonnant que les joueurs.
Pas de huées, peu de sifflements (ou alors c’est qu’ils sont vraiment très, très fâchés!), pas de slogans racistes, de gestes obscènes, d’agressivité, mais une étonnante camaraderie entre les clans.
Bref, si le sport en lui-même a l’air on ne peut plus sauvage, j’ai rarement vu des gens aussi civilisés dans un stade…
Martine Bernier