Je n’admire pas Victor Hugo uniquement pour ses talents d’écrivain.
J’aime aussi et surtout chez lui la ferveur avec laquelle il s’est engagé dans son combat contre la peine de mort.
Il l’a mené avec un courage et une constance admirables.
Enfant, il avait été bouleversé après avoir vu un condamné conduit à l’échafaud, sur une place de Burgos.
Adolescent, il avait tout aussi mal supporté la vue des préparatifs du bourreau dressant la guillotine en place de Grève.
Hanté par ce qu’il appelait un « meurtre judiciaire », il a tenté toute son existence de sensibiliser et d’infléchir l’opinion en décrivant l’horreur de l’exécution, sa barbarie, en démontrant l’injustice (les vrais coupables sont la misère et l’ignorance) et l’inefficacité du châtiment.
Il a tout fait pour se faire entendre, utilisant sa notoriété d’écrivain, sa parole d’homme politique.
Il a également écrit, à 27 ans, un roman-manifeste: « Le Dernier Jour d’un condamné » dans lequel il parle à la première personne.
Ses descriptions d’exécutions particulièrement cruelles, il les justifiait par ces mots:
« Il faut donner mal aux nerfs aux femmes des procureurs du roi. Une femme, c’est quelquefois une conscience ».
Oui…
Pas toujours.
Aujourd’hui, s’il revenait, Victor Hugo serait heureux de constater que, en France comme dans bien d’autres pays, l’abolition de la peine de mort a été acceptée.
Ce soir, il tournerait les yeux vers la Géorgie, et serait sans doute bouleversé de voir que l’un des pays soi-disant les plus civilisés du monde, va ôter la vie d’une personne qui semble innocente.
Ou en tout cas, contre laquelle il n’existe pas de preuves tangibles.
Il serait bouleversé, j’imagine.
Comme je le suis.
Je ne parle pour ainsi dire jamais deux jours de suite du même sujet dans Ecriplume.
Mais ce soir…
A l’heure où j’écris ces lignes, la soirée a commencé et il ne semble plus y avoir le moindre d’espoir que soit épargné Troy Davis.
Partout dans le monde, la colère et l’indignation grondent.
Mais, semble-t-il, rien n’y fait.
La femme et les enfants du policier tué il y a 20 ans seront présents pour l’exécution, et se disent ravis de voir enfin la justice rendue.
La Justice à laquelle nous assistons ces derniers jours aux Etats-Unis…
N’est-ce pas un vulgaire simulacre?
Il fallait un coupable, celui-ci était bien pratique.
Vingt ans de combat pour rien.
Bien sûr, on dira: au moins il est resté en vie 20 ans de plus.
Oui… mais quelle vie?
Si cet homme est bien innocent comme on peut le penser, à quoi rime ce qu’il a vécu, ce qu’il s’apprête à vivre cette nuit?
Sa vie a été un cauchemar, une horreur absolue.
Peut-on imaginer son désespoir, sa rage, ce sentiment d’impuissance épouvantable, cette solitude imposée, cette privation de tout, tout au long de ces années interminables et pourtant trop courtes?
S’il est bien innocent, on lui a volé sa vie, on a sali son nom.
Et cette nuit, on va lui imposer la mort.
Une mort indigne.
Elle est belle, la justice américaine…
Comme je l’écrivais ce matin, je sais que je ne suis pas responsable de la misère du monde.
La honte que je ressens ce soir face au geste qui va être commis, je ne la ressens que parce que je fais moi aussi partie de cette race humaine… plus inhumaine que n’importe quelle autre créature sur Terre.
Et je sais que si je n’essayais pas de changer les choses, d’améliorer ce qui peut l’être, avec mes très petits moyens, je me sentirais aussi infâme que ceux que je méprise.
Il n’en reste pas moins que, ce soir, c’est à un terrible échec auquel nous assistons.
Il ne faudra pas oublier Troy Davis.
Le combat pour les Droits de l’Homme ne s’arrête malheureusement pas à lui.
Des situations lamentables de ce genre, il y en a beaucoup.
Je voudrais rappeler le cas de Asia Bibi, qui est condamnée à mort au Pakistan pour blasphème.
Celle dont on dit qu’elle va mourir pour un verre d’eau.
Elle a simplement refusé de renier sa foi chrétienne en faveur de l’Islam.
Ses collègues de travail ont réagi avec violence.
Sous la pression de la foule, la police n’a pas osé protéger cette mère de famille de 45 ans et l’a arrêtée pour blasphème.
Elle est en détention depuis un an, condamnée, donc à la pendaison. Sa famille a dû quitter son village et vit dans un lieu tenu secret.
Deux personnalités (un gouverneur musulman et un ministre chrétien) qui ont voulu prendre sa défense ont été assassinés.
Elle a lancé un appel au secours dans un livre appelé « Blasphème » paru à Oh Editions.
Et que l’on ne vienne pas me dire: nous n’y pouvons rien, c’est leur culture!
Trop facile…
Vraiment trop facile.
Martine Bernier
Que dire de plus ! Je crois que vous avez tout dit tellement mieux que je ne pourrais le faire.