Chaque année, dès le retour du printemps, mon père se penchait avec attention sur les cartes routières qu’il sortait d’un petit meuble.
Le « petit meuble des vacances ».
L’heure était venue de préparer le périple estival.
La carte était déployée sur la table du salon, étudiée dans ses moindres itinéraires.
Sérieuse comme un pape, les papesses n’étant pas tolérées, je me mettais à genoux sur une chaise, les coudes posés sur la table, la tête dans les mains… et je suivais le doigts de mon père qui serpentait le long des routes.
Une année sur deux, il nous emmenait à l’étranger.
Le reste du temps, nous allions au bord de la mer ou à la campagne.
L’épisode itinéraire terminé, il sortait ce qu’il appelait pompeusement la « caravane ».
Une caravane pliante qu’il vérifiait soigneusement avant de partir.
Le jour J, nous embarquions tous à bord de la Coccinelle.
Les valises étaient calées dans le coffre, y compris le vieux sac gris hideux de ma grand-mère qui me servait de sac aux trésors.
Mes frères se coincaient à côté de moi sur la banquette arrière où nous étions serrés comme des sardines.
Immanquablement, celui du milieu protestait:
– Pourquoi Martine a toujours le droit d’être près de la fenêtre?
Et ma mère répondait invariablement:
– Parce qu’elle est malade en voiture.
– Mais moi aussi je peux être malade en voiture, si je veux!
Je détestais ces maux de transport, mais j’adorais ma place, derrière le siège du conducteur, avec vue sur la nuque de mon père et, à gauche, sur le paysage qui défilait.
En général je commençais à être malade avant que vous ayons quitté Bruxelles.
Le trajet était jalonné d’arrêt justifiés par mon triste état.
Mais nous finissions toujours par arriver à bon port!
Les années de vacances à la campagne, nous nous rendions chez un adorable paysan qui nous laissait nous installer dans son champ.
Nous y avions des repères….
La grand-mère, qui mangeait des prunes à longueur de journée en tricotant, Papalux, l’agriculteur, qui nous expliquait comment donner à manger aux animaux, le poulailler où deux énormes coqs baptisés Hitler et de Gaule, se battaient violemment.
Papalux les chassait en grognant qu’ils allaient finir à la casserole… ce qui n’a pas manqué d’arriver.
Il y avait aussi les champignons blancs que nous allions cueillir au petit matin dans les prés couverts de rosée, les soirées feux de camp auxquelles mon père invitait les scouts qui plantaient leurs tentes non loin, pour que nous partagions tous ensemble d’énormes omelettes aux champignons…
Il y avait la visite des grottes de Han et la découverte de tout ce qu’il était possible de voir dans la région.
Et puis les nuits d’orage que j’adorais et qui pétrifiais ma mère….
Dans la minuscule caravane, les parents dormaient chacun sur une couchette et les enfants dormaient sur des matelas pneumatiques, par terre.
Très vite, mon frère aîné a exigé et obtenu d’avoir sa propre tente.
Lorsque l’orage éclatait, mon père disparaissait.
Je le suivais pour le retrouver sous l’auvent.
La toile était battue par le vent et la pluie…
Et lui, trempé après avoir été vérifié que tout se passait bien du côté de mon frère et après avoir assuré chaque piquet extérieur, tenait à deux mains le poteau central qu’il avait placé sous la toile pour empêcher qu’elle ne bouge.
Je me mettais en face de lui et tenais le poteau moi aussi.
C’était parfaitement inutile, mais l’important, n’est-ce pas, était de participer.
Nous nous parlions à mi-voix pour ne pas réveiller le reste de la famille.
J’aimais déjà ces nuits d’orage où la nature se mettait en colère.
Le lendemain, mon père me montrait fièrement les tranchées qu’il avait creusées autour de la maison de toile.
– Tu vois, l’eau n’est pas rentrée dans l’auvent…
Lorsque nous partions à l’étranger, le scénario était sensiblement le même.
Sauf que la route était plus longue et que j’étais malade plus longtemps.
Dans les campings où nous nous installions, mon père se faisait facilement des connaissances.
Et avait trois bottes secrètes pour sceller ces amitiés d’été: la bouteille d’apéritif, les tranches de saucisson et les boules de pétanque.
De vraies boules en métal, très lourdes.
Jouer à la pétanque avec les autres vacanciers était un moment de détente et de rires assurés, qui finissaient autour d’un joyeux apéritif.
Les vacances se passaient au rythme des repas pique-nique, des grosses pêches oranges et juteuses qui sentaient l’été et le soleil, des glaces dégustées sur le bord de mer, des excursions qui ressemblaient à des expéditions…
Je les garde précieusement au fond de ma mémoire, ces souvenirs de grand soleil.
Martine Bernier