Nous avons tous dans nos mémoires des souvenirs d’enfance très flous dont nous ne savons pas vraiment à quel événement ils sont reliés.
C’est mon cas pour l’un d’eux: celui que nous appelions la « Foire annuelle ou le Marché annuel d’Anderlecht ».
Il se déroulait donc chaque année, après les vacances, dans cette commune de Bruxelles et nous habitions lorsque j’étais enfant.
Pour la petite fille que j’étais, c’était un événement qui sortait vraiment de l’ordinaire.
Les rues étaient envahies de marchands et de cantines, la fête foraine s’installait sur la place,le marché aux fleurs prenait ses aises et, surtout, c’était l’occasion pour les enfants des villes d’approcher les animaux des campagnes.
Les vaches, les chevaux, la volaille: ils étaient tous là.
Lorsque nous allions « à la foire », le rituel était pour moi toujours le même.
Dès que nous nous approchions des animaux, il fallait que j’aille les saluer, les uns après les autres.
Résignée, ma mère continuait son chemin avec mes frères au bout de quelques minutes, donnant rendez-vous plus loin à mon père qui m’accompagnait dans ma tournée.
Lorsqu’il n’en pouvait plus, il m’offrait de délicieux croustillons et nous repartions rejoindre le reste de la famille.
Hier matin, j’ai eu envie de préciser mes souvenirs, de retrouver les lieux de mon enfance.
Et pour cela, j’ai fait appel à… Google Earth.
J’ai introduit l’adresse à laquelle nous habitions autrefois et j’ai cliqué sur la touche « recherche ».
Ai-je eu raison ou tort?
Je ne sais pas…
Toujours est-il que le temps passe, que les maisons que l’on n’entretient pas vieillissent, que certains bâtiments changent de vocation, que le monde change… et que cela m’a fait un choc.
Le triste quartier de mon enfance est apparu sur mon écran, pas plus joyeux aujourd’hui.
J’ai commencé par détailler la maison, celle de mon oncle, celles qui entouraient la nôtre…
Notre maison a commencé à devenir triste après la mort de mon père, et semble ne jamais s’en être remise.
Un peu comme si, depuis, personne ne l’avait assez aimée pour la rafraîchir.
Il fait reconnaître qu’elle était particulièrement laide.
Il n’y a plus la moindre trace de ma famille qui occupait pourtant trois bâtiments et une menuiserie.
Trois générations disparues sans laisser de traces apparentes ou presque.
J’ai regardé le square maigrelet qui lui aussi a pris de l’âge.
Puis, j’ai fait quelques pas virtuel, j’ai emprunté la rue qui partait sur la gauche et j’ai pris le chemin qui me menait à l’école.
Les maisons avaient très peu changé dans cette rue qui était déjà la plus coquette, à l’époque.
Je tourne à droite, je marche un peu et… j’arrive devant les deux maisons qui étaient celles des Soeurs de Notre Dame.
La directrice, mes professeurs, ma chère Soeur Lucie-Agnès que j’aimais et admirais beaucoup.
Les petits commerces aux alentours ont disparu.
La boucherie où le jeune boucher aux yeux bleus était si heureux avec sa femme et leurs bébés, la petite épicerie qui vendait notamment des gâteaux somptueux et des « fèves à découper » coupées en lamelles sur place, le magasin de fournitures scolaires où j’aimais me rendre pour son odeur de papier, de crayons, de gommes, et pour pour la gentillesse de la patronne surnommée « La petite boîteuse » par les gens du quartier.
Un surnom qui m’énervait, mais qu’elle prenait comme affectueux.
Je tourne à gauche et je suis devant l’école, installée sur les deux trottoirs qui se font face.
Elle a changé, elle aussi: de grands murs, partout…
J’avance.
A gauche, quelques pas… et je suis sur la place de la Vaillance.
Là encore, tout a changé.
Parmi les commerces, je ne reconnais qu’une chose: la brasserie qui était notre QG lorsque j’étais adolescente est toujours là.
Il m’arrivait d’y boire un jus d’orange avec un petit groupe d’étudiants, en cachette de ma mère et de mon frère qui n’auraient pas supporté de me savoir dehors.
Je ne peux pas m’en empêcher, souris en main, je cours vers les lieux où je cherchais à le réconfort durant toutes ces années noires passées là-bas après la mort de mon père.
Je m’arrête devant l’église St Guidon où, lorsque j’en avais trop sur le coeur, j’allais « enguirlander » le Christ cloué sur sa grande croix… pour ensuite aller m’excuser auprès de la statue de sa mère, Marie.
Pour le cas où ils décideraient d’en rajouter encore…
J’ai fait un passage à la Bibliothèque où j’ai passé tellement d’heures de paix… et qui me servait de prétexte pour pouvoir me réfugier dans le lieu que j’aimais vraiment, situé à deux pas de là: la Maison d’Erasme et ses jardins, aujourd’hui apprivoisés.
Google Earth ne m’a pas permis de voir réellement ces lieux que j’aimais.
Beaucoup de choses ont changé, mais j’ai reconnu les principaux sites.
J’ai tourné un moment dans un faisceau de rues parcourues durant mes jeunes années.
Puis j’en ai eu assez.
J’ai refermé le programme et le livre virtuel de mes souvenirs.
J’en avais trop vu, un peu jusqu’à l’écoeurement.
Ma vie est ici.
Martine Bernier