Ma grand-mère maternelle était, comme je l’ai déjà dit, une personne joyeuse et chaleureuse.
Durant une grande partie de sa vie, elle a cultivé son goût pour une petite fantaisie qui lui valait la désapprobation de ma mère: elle modifiait régulièrement son environnement.
Changer les meubles de place et améliorer la décoration de son appartement était un loisir qui lui plaisait beaucoup, m’a-t-elle souvent expliqué.
Le résultat était que je n’avais pas l’impression, en lui rendant visite, d’entrer dans un appartement de personne âgée.
L’atmosphère y était légère, frais.
Un jour qu’elle nous rendait visite, après la mort de mon père, elle avait été troublée par l’ambiance lourde qui régnait dans notre maison.
Le portrait de mon père orné d’un ruban noir que ma mère avait posé sur la cheminée ne lui ressemblait pas.
Je ne le reconnaissais pas dans ce très jeune homme en noir et blanc.
Comme sa présence n’illuminait plus nos vies, la maison était devenue pesante, sombre, triste.
Ma grand-mère, très sensible, ne pouvait pas ne pas en parler.
C’était son fils qui était parti, mais il était hors de question pour elle de sombrer et de nous regarder dériver sans rien dire.
Il fallait penser aux vivants, aux enfants.
Comme ma mère semblait totalement imperméable voire agacée par ses suggestions, elle a tenté le tout pour le tout.
En partant, elle est allée rendre visite à mon autre grand-mère, à l’étage du dessous.
Une véritable conférence au sommet entre deux femmes très différentes.
Elle qui était la joie de vivre personnifiée, et ma grand-mère maternelle, qui savait rire elle aussi, mais qui était plus connu pour être la Reine Mère, celle qui incarnait la Justice et à laquelle on obéissait.
Personne n’a assisté à leur conversation.
Mais ce fut la dernière visite de ma grand-mère maternelle.
Quand je l’interrogeais, ma mère disait, drapée dans sa dignité et dans le naufrage dramatique dans lequel elle nous entraînait jour après jour: « Je n’aime pas que l’on se mêle de mes affaires. Et puis elle habite loin. »
J’ai compris rapidement que si elle avait accepté l’aide proposée, elle aurait peut-être évité bien des malheurs et une fin tragique.
Plusieurs années après, lorsqu’enfin j’ai pu m’affranchir partiellement de la surveillance constante dont j’étais l’objet, j’ai pu revoir ma grand-mère paternelle, souvent en secret.
Je lui ai un jour demandé ce qu’elle avait dit à mon autre grand-mère, ce jour-là.
Elle était décédée depuis.
Comme elle ne médisait pas, mon interlocutrice est restée très floue.
Mais elle m’a dit qu’il s’agissait d’une femme admirable.
Je savais qu’elle avait raison.
Et je voyais qu’elle cherchait à dire quelque chose qui me ferait plaisir.
Elle a alors eu ce sourire à la fois espiègle et joyeux qui était le sien et elle a ajouté:
– D’ailleurs nous avions un point commun très important!
J’avais de la peine à en trouver un entre ces deux femmes si différentes, à l’exception du fait qu’elles partageaient trois petits-enfants!
– Ah bon? Lequel?
– Et bien… nous avions toutes les deux un canari!
Je l’ai regardée, me demandant si elle plaisantait.
Elle a continué:
– Aimer les oiseaux, c’est un point commun essentiel!
Ainsi parlait ma grand-mère!
Martine Bernier