La journée avait été chargée, parfois même un chouillat compliquée, remplie de ce que j’appelle les « noeuds à dénouer ».
Terme pudique pour désigner les soucis auxquels chacun de nous doit trouver des solutions au quotidien.
Mon Capitaine était absent, la soirée bien avancée.
Je venais de terminer tout les textes que j’avais à écrire et toutes les tâches que j’avais à finir, et je me suis installée dans mon bon vieux canapé râpé qui me tendait ses accoudoirs aguicheurs.
Au menu de la soirée j’avais prévu un immense et délicieux vide sidéral passé à regarder un ou deux enregistrements d’une série américaine dont les épisodes s’oublient à peine ont-ils été ingurgités.
Seulement voilà.
Pomme n’avait pas exactement les mêmes projets que moi.
Pleine d’enthousiasme, elle a sauté à côté de moi et m’a tapoté le bras du bout de la patte.
Je lui ai posé un chaste baiser sur la tête en l’assurant de mon indéfectible affection, ce qui, visiblement, n’a pas suffi.
Elle a recommencé son manège en me grattant le bras un peu plus fort.
– Oui, oui, je t’aime aussi…
Outrée de voir mon manque de réceptivité, elle a poussé l’un de ces aboiements aigus que je ne supporte pas et qu’elle utilise lorsqu’elle veut attirer mon attention pour une raison urgente.
– Hé! Tu es malade! Tu vas me crever le tympan! Qu’est-ce qu’il y a? Nous sommes sorties il y a vingt minutes! Tu ne vas pas me dire que….?!
Elle ne l’a pas dit, mais elle l’a pensé.
Clairement, le mot « sortie » l’a inspirée.
Avec des bonds de gazelle ascendant kangourou , elle a sauté autour de moi, faisant preuve d’un enthousiasme délirant.
Bon. Soit.
J’ai cédé.
Elle m’a entraînée vers la porte et je l’ai emmenée dans le jardin où elle a passé un long moment à renifler l’herbe, cherchant sans doute la trace du hérisson qui vient de temps en temps squatter la haie.
Il était 21 heures passées, et je n’avais pas follement envie de rester plantée là.
Pomme non plus d’ailleurs: elle a filé vers la porte, n’ayant sans doute pas prévu que la soirée serait aussi fraîche.
Nous sommes remontées et j’ai repris ma place dans le canapé, avec volupté.
J’ai à peine eu le temps de prendre la télécommande.
Mon regard a croisé celui de mon Mogwaï.
Un regard à la fois sévère et plein d’espoir.
– Mmm?? J’ai oublié quelque chose? Tu as mangé, tu as de l’eau fraîche, je t’ai donné une friandise, tu as eu un « nonosse » ce matin, Bruno ne t’a pas caché tes « baballes »…
Oui, je sais, mon français n’est pas franchement châtié quand je parle avec Pomme.
J’ai honte.
Mais au moins, elle me comprend.
Elle penchait la tête de droite à gauche, réagissant à chaque mot qu’elle connaît.
– Heu… un câlin, peut-être?
Non, pas câlin.
J’ai été lui changer son eau une fois encore, par acquis de conscience.
De retour au salon, elle était là, assise au milieu de la pièce, raide comme la Justice.
– Pas question que je te laisse aller boire dans l’arrosoir, si c’est à ça que tu penses. Si tu ne veux pas dire ce que tu veux, tant pis.
Et hop: direction le canapé… Pomme sur mes talons.
Elle s’est assise à côté de moi, me fixant de ses immenses yeux foncés.
Un regard tellement pénétrant qu’il en devenait dérangeant.
– Mais enfin, qu’est-ce que tu veux? La fenêtre?
Et là, comme si elle n’attendait que cela, elle m’a piétinée délicatement pour atteindre la vitre, derrière moi.
Elle s’est assise, une fesse sur les coussins, l’autre sur mon épaule, vissée à son poste d’observation avec vue sur le jardin des chats.
Elle voulait son spectacle à elle et je ne l’avais pas compris.
J’ai lancé l’enregistrement tandis qu’un petit soupir discret parvenait jusqu’à mon oreille, émis par ma boule de poils mogwaïenne.
Elle l’a pensé si fort que j’ai cru l’entendre me dire:
« Et bien… il lui a fallu le temps! Qu’est-ce qu’elle peut être lente, parfois… »
Martine Bernier