J’ai commencé à lire à 4 ans, complètement émerveillée d’arriver à comprendre enfin ces hiéroglyphes qui me fascinaient.
J’ai alors réalisé que je pouvais avoir accès à tout un monde qui m’était jusqu’alors interdit…
Les noms des rues, les affiches publicitaires, les étiquettes des produits, les titres des magazines: tout me passionnait.
Le journal, qui était le premier support que j’avais lu officiellement, possédait un contenu que je ne comprenais pas.
Je me rabattais donc sur mes livres…
Des livres, j’en ai reçu des quantités…
A sept ou huit ans, j’avais lu, comme tous les enfants amoureux de lecture, tout ou presque tout le contenu de la Bibliothèque Rose et de la Bibliothèque verte.
J’ingurgitais mes propres bouquins, mais j’allais aussi régulièrement à la bibliothèque municipale d’où je revenais avec d’énormes piles de merveilles que je dévorais.
A l’époque, les tablettes, ordinateurs et autres consoles de jeux n’existaient pas, la télévision en était à ses premiers balbutiements.
Les enfants avaient tout leur temps pour se consacrer à ce délicieux passe-temps…
J’ai su très vite que mon cousin, qui était beaucoup plus âgé que moi, possédait une collection de bandes dessinées impressionnante.
Nos maisons étaient voisines.
Pour accéder à celle de mon oncle, il fallait sortir de la cuisine de ma grand-mère, au rez-de-chaussée de notre propre maison, sortir dans la cour bordée d’une bande de jardin d’un mètre de large sur cinq ou six de long, et remonter sur quelques mètres.
La chambre de mon cousin donnait sur cette cour, au rez-de-chaussée.
Et en été, la fenêtre était souvent ouverte…
La tentation était immense.
Quand je n’avais plus rien à lire, entre deux visites à la bibliothèque, je me hasardais discrètement dans la cour.
En général, je profitais que ma tante était aux commissions, que mon oncle était dans sa menuiserie et que mon cousin était parti en ville.
Si la fenêtre de la chambre était ouverte, je m’y glissais, choisissais un livre… et filais dans le lierre du petit jardin de mon oncle.
Il paraissait immense à mes yeux d’enfants…
Je m’y faufilais, entre son tronc et le mur, et je m’aménageais un nid où, protégée par les lianes, je dévorais les albums de Bob et Bobette, des 4 As, de la Patrouille des Castors et de bien d’autres…
Je ne faisais pas trop souvent ce genre de chose, vaguement consciente que, si je ne volais rien, il n’était pas franchement glorieux de s’introduire en douce chez les autres, fussent-ils de ma famille.
Un mercredi après-midi où tout le monde était absent, je me suis pourtant faufilée vers l’objet de ma convoitise.
Un coup d’oeil à droite, un coup d’oeil à gauche: personne à l’horizon.
A pas de loup mais à toute vitesse pour que les ouvriers de la menuiserie ne me voient pas, je me suis glissée dans la chambre, hypnotisée par les étagères couvertes de livres.
Alors que je m’en approchais, une voix a résonné derrière moi:
– Ah te voilà, toi!
C’était Maurice, mon cousin.
Je me suis sentie misérable, horriblement honteuse, coupable.
Mais c’était un homme gentil et plein d’humour.
Il a souri et m’a dit:
– Je n’aime pas que tu entres dans ma chambre sans me prévenir. Mais si tu veux des livres, tu peux m’en demander, je te les prêterai.
Je lui ai demandé pardon, mortifiée…
Le goût des livres m’avait poussée à faire quelque chose que je n’aurais jamais fait sans cela: de la violation de domicile!
Je ne suis plus retournée en cachette dans la chambre de mon cousin.
Mais jusqu’à ce que j’aie épuisé son stock, il m’a préparé des piles de BD que j’emmenais dans ma chambre et que je lui rapportais en fin de journée.
Jusqu’au jour où, le dernier album lu, il m’a fallu trouver une autre source à tarir…
Martine Bernier