Problèmes tordus

Lorsque j’étais à l’école primaire, il existait une branche, ou plutôt un fragment de branche qui me désespérait: les problèmes de mathématique.
Ce qui est d’autant plus bizarre que, plus tard, je me souviens avoir adoré les équations.
Mais les problèmes ont été mon cauchemar pendant longtemps.
Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi il nous était demandé de calculer à quelle heure tel et tel train partis à de deux villes différentes et roulant à deux vitesses différentes allaient se croiser à tel endroit, ou combien de temps il faudrait à une baignoire qui fuit pour se remplir.

Je savais qu’il était strictement interdit de faire des réflexions en classe.
Donc, je rongeais mon frein, même si j’avais très envie de faire remarquer que si la baignoire fuyait, il serait plus malin de la faire réparer avant de la remplir, ou que personne ne s’intéressait à savoir quand ces trains se croiseraient à l’exception des cheminots qui devaient de toute façon en avoir été informés.
Je me taisais et passais un temps fou à trouver ou à faire semblant de trouver la solution à ces problèmes déprimants.
Jusqu’au jour où notre professeure est arrivée avec le pire de tous.
Il s’agissait cette fois de six vaches installées dans un pré.
Le but étant, d’abord de savoir combien de temps elles mettraient pour manger toute l’herbe qui s’y trouvait et, dans un second temps, combien de litres de lait elles donneraient.
C’en était trop.
Pour avoir passé de longs moments à observer ces respectables bovidés durant mes vacances à la campagne, je savais qu’ils n’étaient absolument pas aptes à être des pions sur l’échiquier de ces problèmes stupides conçus par un esprit qui, à mon jeune avis, ne pouvait être que tordu.
J’ai levé la main, un peu timidement quand même, pas très sûre de ne pas me faire rabrouer.

– Oui, Martine? Quelque chose ne va pas?
– Madame,  ce n’est pas possible de résoudre ce problème-là.
– Ah bon? Et pourquoi?
– Parce que toutes les vaches n’ont pas le même appétit. Il y en a des gourmandes, des lentes, des « au régime »…
– Hum. Contentons-nous de nous en tenir aux chiffres donnés.
– Mais… ce n’est pas juste!
– Comment ça, « pas juste »??
– Une vache, c’est vivant, elle ne fait pas toujours ce que disent les chiffres. Et puis elles ne donnent pas toutes autant de lait les unes que les autres.

Je le savais: c’est le paysan, Papy Luc, qui me l’avait expliqué.
Je n’avais pas envie d’ennuyer ma prof.
J’étais simplement outrée de voir que l’on voulait  introduire ces pauvres bêtes dans des statistiques.
Je ne sais plus comment s’est terminée ma conversation avec notre prof.
Mais je sais que, le week-end suivant, en apportant mon carnet à la maison, il y figurait la remarque dont j’ai été le plus fière de toute ma scolarité:
« Martine est bonne élève, mais un peu bohème et très têtue. Et finalement assez logique dans ses raisonnements. »

Ah!

Martine Bernier

 

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