Ma vie en Légos

C’était hier.
Je jouais avec Aurélien, mon petit-fils, lorsque son papa, mon fils aîné, m’a dit:
– Je me souviens encore très bien lorsque tu nous avais raconté ton histoire avec les Légos…
Sa phrase nous a propulsés plus de trente ans en arrière.
À l’époque, j’étais jeune maman, et j’avais deux bambins qui commençaient à me poser des questions.
« Et toi, c’est qui, ton papa? Elle est où, ta maman? etc ».
J’ai longuement réfléchi.
Il y avait à mes yeux  deux solutions.
Soit je restais évasive ou ne répondais pas, soit je prenais le taureau par les cornes et j’en profitais pour aborder avec eux les grandes questions existentielles.
Seulement voilà: je voulais qu’ils soient au courant de mon passé, mais il n’était pas question pour moi de les traumatiser.
Il fallait donc que je trouve une solution pour leur faire comprendre que les pires chagrins peuvent se surmonter et que nous avons tous en nous des ressources insoupçonnées.
Y compris lorsque nous sommes tout seuls au bord du chemin.
Un jour que nous jouions tous les trois aux Légos, j’ai eu une idée.
Je leur ai demandé s’ils voulaient toujours que je leur raconte mon histoire.
Ils étaient très enthousiastes.
J’ai donc choisi avec eux  un personnage légo me représentant, et d’autres pour mon père, ma mère, mes frères, etc.
À travers eux, nous sommes partis sur les traces de ma vie.
À chaque fois qu’un nouveau personnage intervenait, c’est eux qui le choisissaient en me demandant: « Il est gentil ou méchant? »
Ils ont compris le lien très fort qui m’unissait à mon père et le choc immense que m’a causé sa disparition.
C’est là qu’ils m’ont demandé ce qu’était la mort, ce que devenaient ceux qui partaient…
Ensemble, nous avons construit une petite boîte, toujours en Légo, nous y avons déposé le « légo papa », avec des fleurs etc… et nous avons procédé à ses funérailles.
Puis je leur ai expliqué ce qu’envisageaient les différents courants religieux par rapport à la mort.
Ensuite nous avons continué l’histoire.

Il a fallu refaire une autre boîte cercueil pour le « légo maman » etc…
Ils comprenaient chaque étape.
Certaines les ont même fait un peu pleurer, d’autre rire.
C’était ma vie.
Le « jeu » a duré très longtemps.
Je m’adaptais à leurs questions.
Ce n’était  présenté ni comme une succession de drames ni avec trop de légèreté.
C’était simplement une histoire avec des coups durs et de nouveaux départs, des joies, des peines, mais toujours, derrière le « petit bonhomme maman », une immense envie de découvrir plein de gens et de choses, d’apprendre…
Quand nous avons terminé, ils savaient à peu près tout de mon trajet de vie.
Trente ans plus tard, alors que je ne savais pas exactement ce qu’ils avaient gardé de cette tentative pour rendre transparent mon passé et, par la même occasion, un morceau du leur, la phrase de mon fils m’a touchée.
Il m’a dit combien cet épisode l’avait marqué positivement et combien il trouvait formidable la manière dont je m’y étais prise.
Sans mode d’emploi, nous ne savons jamais si ce que nous faisons est juste lorsque nous sommes parents.
Ce qu’il m’a dit me confirme que le temps que nous consacrons à nos enfants n’est jamais perdu…

Martine Bernier

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