Alors que j’étais enfant, mon père nous a un jour offert en cadeau de St Nicolas un jeu de flipper de table.
Outre la bille qui heurtait des bornes qui s’allumaient au passage en tiltant joyeusement, le jeu possédait une caractéristique irrésistible à mes yeux: une grande roue à compartiments dans laquelle se trouvaient de petits trophées dorés.
Il y a avait un chien, une chaussure, une tasse… bref, une série de babioles scintillantes que le joueur gagnait lorsqu’il atteignait un certain score.
Après la partie, chacun remettait son trophée dans la roue et le jeu était rangé.
Mes frères, mon père et moi jouions ensemble au cours de parties animées qui me laissaient toujours un petit arrière-goût amer.
Pour moi, ces petits objets étaient un trésor que je mourrais d’envie de pouvoir introduire dans ma panoplie personnelle de jouets .
J’ai donc cogité longuement.
Dans ma petite tête de gamine de cinq ou six ans, il fallait que je trouve d’autres trophées pour les substituer à ceux que je comptais subtiliser en douce.
J’ai travaillé à mon projet durant plusieurs jours.
Et un dimanche matin, très tôt, alors que la maison dormait encore, je suis allée ouvrir l’armoire à jouets avec mille précautions et j’ai procédé à l’échange.
J’ai ensuite caché mon trésor comme une pie l’aurait fait avec un morceau de verre…
Pendant quelque temps, rien ne s’est passé.
Personne ne prenait le jeu pour y jouer, ce qui m’arrangeait.
Et puis… l’un d’entre nous a proposé une partie aux autres qui ont tous accepté.
Oups.
Je me suis assise à table, sage comme une image.
Mon père a monté le jeu et a poussé une exclamation.
– Mais?? Qu’est-ce que c’est que ça?
J’ai pris un air innocent lorsqu’il m’a désigné la roue aux récompenses.
Les articles dorés avaient été remplacés par des imitations maladroites fabriquées en pâte à modeler, et par de petits objets que j’avais chapardés de-ci de-là: une capsule, une bille, un dé à coudre…
– Mon dé à coudre! C’est là qu’il était?! Je le cherchais depuis des jours!
La réaction de ma mère m’a fait me tasser sur ma chaise.
Je commençais à me dire que mon idée n’était peut-être pas aussi bonne que cela.
Mon père, qui cachait son amusement, m’a dit:
– Tu ne sais pas qui a pu prendre les trophées?
J’ai articulé faiblement:
– Heu… en tout cas, ce n’est pas du vol puisqu’il les a remplacés par autre chose… Et c’est joli, je trouve.
– Bon. Je pense que tu vas aller chercher les pièces pour les remettre à leur place, d’accord?
J’ai été chercher mon précieux trésor et je l’ai remis à mon père qui a remplacé les éléments sans ciller, sous les moqueries de mon frère aîné… que j’avais bien méritées, soit dit en passant.
J’étais triste d’avoir renoncé à mon butin, mais je savais que ce que j’avais fait n’était pas très malin.
Je soupirais donc sur mon trésor perdu lorsque, quelques semaines plus tard, mon père m’a appelée et m’a tendu un petit sachet en tissu:
– Tiens, c’est pour toi.
– Qu’est-ce que c’est?
– Ouvre!
Ce que j’ai fait…
A l’intérieur du sachet se trouvaient des éléments dorés aussi jolis et clinquants que ceux de la Roue.
Papa m’a expliqué qu’il était allé au magasin de jouets et qu’il avait expliqué mon cas au vendeur… qui lui avait procuré un nouveau trésor.
– Tu vois, il y a toujours moyen de trouver des solutions! La prochaine fois que tu as envie de faire une bêtise, tu viens m’en parler avant, d’accord?
Martine Bernier