En 2011-2012, le Musée du Quai Branly, à Paris, a monté une exposition majeure: « Exhibitions. L’invention du sauvage. »
La Fondation Lilian Thuram s’était associée à ce projet anthropologique revenant sur le phénomène terrible et obscène des « zoos humains ».
A cette période, je n’avais pas pu me rendre à Paris.
J’avais donc lu et écouté des interviews, des reportages et des comptes-rendus de l’exposition, sachant qu’un jour où l’autre, j’irais plus loin pour tenter de comprendre.
Le mois dernier, le film « Chocolat » est revenu quelques instants sur le sujet, et, cette fois, j’ai commandé deux ouvrages et un film dans le but de comprendre.
Il s’agit d’un sujet difficile à aborder, à supporter.
Mais il était pour moi essentiel de remonter aux sources de cette folie qui a conduit à cette folie consistant à exhiber des hommes et des femmes comme des animaux, leur ôtant toute dignité, tout respect.
Je lis par petits bouts l’excellent ouvrage « Zoos humains et exhibitions coloniales, 150 ans d’inventions de l’Autre » de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Bortsch, Eric Deroo et Sandrine Lemaire.
Et je découvre comment ces spectacles consternants étaient à la fois considérés comme un outil de propagande coloniale, un « divertissement » et un « objet scientifique ».
Je me suis procuré le film bouleversant d’Abdellatif Kechiche: « Vénus Noire ».
Il raconte l’histoire de Saartjie Baartman, jeune femme d’ethnie khoisan, qui fut exhibée en Europe de 1810 à sa mort, en 1815.
De Londres à Paris où elle a fini sa vie dans des conditions épouvantables, elle s’est retrouvée aux mains d’hommes sans conscience qui lui ont fait vivre une vie de misère, transformée en bête de foire, jetée en pâture à un public voyeur, à des scientifiques détestables la traitant « comme le chaînon manquant entre le singe et l’homme », sans le moindre égard, puis à des personnages dépravés qui l’ont réduite à l’état de chose.
Le film est terrible, va au bout de chaque horreur.
J’ai dû passer certaines scènes, insoutenables.
Quant aux scientifiques, l’anatomiste Georges Cuvier en tête, ils se comporteront de manière ignoble sous le couvert de la science, brandissant un effrayant discours pétri de préjugés racistes.
La jeune femme sera humiliée jusque dans la mort.
A son décès, sa dépouille sera moulée et disséquée.
Plusieurs parties de son corps ont été conservées au musée de l’Homme de Paris jusqu’à ce qu’enfin, à la fin des années 1970, elle soit rendue à son peuple et enterrée dignement chez elle, en Afrique du Sud.
J’admire l’actrice cubaine Yahima Torres qui a eu le courage de tenir ce rôle terrible avec un talent extraordinaire…
Plusieurs jours après avoir vu le film, je suis toujours écoeurée, en colère, remplie de honte pour ceux qui ont commis de tels actes.
Au fil du livre que je consulte par petites doses, je découvre, j’apprends… accablée de réaliser qu’aujourd’hui encore, ces sentiment abjects n’ont pas disparu.
Martine Bernier