Mercredi matin.
Dernier jour que passe Le Chat au Nid.
Aux aurores, je m’occupe de Pomme et de lui.
Je devrais dire de lui et de Pomme: s’il lit ce texte, il va se vexer, n’étant pas du genre à passer en second.
En une semaine, nous avons déjà mis en place quelques rituels.
Les repas des deux compères sont préparés et leur sont proposés dans deux endroits bien spécifiques, et une première friandise est distribuée à chacun pour bien commencer la journée.
Puis ils se reposent un peu de la nuit, jouent ensemble, se re-reposent… etc… jusqu’au soir.
Le Chat a choisi « ses endroits », parmi lesquels « mon » fauteuil, où il adore se blottir parmi les coussins.
Attention, pas n’importe quels coussins, il va toujours sur ceux que j’ai confectionnés de mes blanches mains, plus moelleux à son goût que les autres.
Je suis flattée!
Monsieur a du goût.
Il s’y installe dans des positions improbables, ressemblant à une salade de pattes, et offrant l’image d’un mécano désarticulé où il n’est pas possible de situer la tête et le reste du corps.
Seule constante à ses postures de yoga: un bout de queue qui, quelle que soit la pose choisie, sort de nulle part et reste là, bêtement dressé vers le plafond.
Et interdiction de rire sous peine d’être fouetté par un regard vert et cinglant!
Son manège a le don d’intriguer Pomme qui passe beaucoup de temps à l’observer, peut-être dans l’espoir de le voir se reconstituer sous la force de son regard…
Ce qu’il fait automatiquement si un bruit vient le déranger.
Ce dernier matin, les choses ne sont pas passées exactement comme les autres jours.
Vers sept heures, le chantier situé non loin de la maison a pris vie.
Après une interruption pour les vacances, les ouvriers sont revenus depuis lundi,
Parmi eux, beaucoup de Portugais, qui, dans le cas présent, ont une particularité: par moment, ils parlent fort, très fort même.
Enfin… ils crient, sans doute parce qu’ils ont l’habitude de devoir le faire pour être entendus malgré le vacarme des travaux.
Dans ces moments-là, la quiétude du quartier est, heu… légèrement perturbée.
En temps normal, Pomme n’y fait pas attention, ou se contente d’aller s’appuyer sur le bord du balcon pour voir ce qui se passe.
Aujourd’hui, elle est partie d’un pas décidé vers son poste d’observatoire, et a aboyé de toutes ses forces, à plusieurs reprises.
Elle avait l’air exaspérée.
Son cri voulait nettement dire: Silence, les Humains!
Lorsqu’elle a retrouvé son calme, elle s’est installée dans son panier pendant que je commençais à écrire.
Au bout de quelques minutes, elle se relève, retourne sur la terrasse… et c’est là que la situation a pris un tour inattendu.
J’ai entendu mon Mogwaï recommencer à aboyer… mais différemment.
Un aboiement inquiet, mêlé de grondements, que je n’avais pas souvent eu l’occasion d’entendre.
Pomme est arrivée en courant dans mon bureau et m’a clairement fait comprendre qu’il fallait que je la suive.
Elle courait à la porte du balcon, revenait vers moi, prenait délicatement ma main entre ses dents et m’entraînait…
La situation semblait sérieuse.
Je me suis levée et je l’ai suivie…
Il m’a fallu quelques secondes pour comprendre ce qui l’inquiétait à ce point.
Le Chat était debout sur la rambarde du balcon, sur un espace qui ne devait pas faire plus de 5 centimètres de largeur.
Il tendait le visage vers un gros bourdon qui voletait autour de nos fleurs.
Prêt à bondir dans le vide, il était en équilibre plus qu’instable, et ne semblait pas réaliser que, derrière le bourdon, il n’y avait rien.
Pomme, qui veille sur son copain comme sur la prunelle de ses yeux, semblait être dans tous ses états…
Les personnes qui vivent avec des chats et qui ont l’habitude de leurs comportements funambules ne se seraient sans doute pas formalisées de la scène.
Moi, oui.
En général, lorsque j’appelle notre invité, il ne daigne pas répondre.
Ou alors quelques minutes plus tard, lorsqu’il est sûr que j’ai bien compris que c’est lui et pas moi qui décide.
Cette fois, je ne plaisantais pas, et il a dû le comprendre au son de ma voix.
Je l’ai appelé de manière suffisamment ferme pour qu’il descende à contrecoeur de son perchoir, visiblement vexé si j’en crois la position de ses oreilles.
Je l’ai cajolé, lui ai expliqué que je serais très contrariée de devoir le rendre en petits morceaux aux Humains dont il est le co-locataire.
Je me voyais mal leur dire, à leur arrivée: » Votre chat… et bien.. j’ai pieusement déposé ses cendres sur la table de votre salon. »
Le principal intéressé, pour éviter mes caresses, courbait le dos et détournait la tête.
Non mais, franchement!
Vade Rétro, stupide nana qui a l’outrecuidance d’interférer dans une occupation féline!
Son regard de sphinx me toisait avec une gravité accusatrice me donnant presque envie de m’excuser.
Quant à Pomme, elle était ravie.
Elle s’est dressée sur ses pattes arrière pour léchouiller le bout des petons du Chat… qui a accepté son hommage en me lançant un regard glacial.
L’air de dire: Toi, tu réfléchiras à deux fois avant de recommencer à me contrarier!
Quelques minutes plus tard, concentrée sur mon clavier, j’écrivais quand un bout de queue est venu chatouiller mes narines.
Très digne, mon invité à quatre pattes passait sur mon bureau « par hasard ».
Comme j’ai ma fierté aussi, j’ai fait le chat.
Je l’ai ignoré.
Je ne sais pas si c’est ce qui l’a incité à faire un deuxième passage.
Quand il est arrivé au bout du bureau, il s’est assis et m’a regardée longuement.
Je lui ai demandé:
– Tu ne boudes plus? Est-ce que cela veut dire que tu fais la paix? Explique-moi: je ne parle pas bien « chat ».
J’ai avancé la main pour le caresser et, cette fois, il ne s’est pas dérobé.
Le calumet de la paix était de sortie.
Martine Bernier