« Veux lire… »

La semaine dernière, je passais la soirée avec mon fils et son petit bonhomme lorsque celui-ci m’a dit:
– Papitine?

Je renonce  une fois sur deux à le corriger quand il transforme le mamitine en papitine… ou qu’il utilise un mot différent pour m’appeler.
Il a le temps…

– Oui?
– Au’é-ien lire!
– Tu veux que je te lise un livre?
– Non! Au’élien lire!
– Tu veux lire un livre?
– Non… Au’é-ien lire.

Je l’ai regardée, perplexe:
– Tu veux… apprendre à lire??
– Oui!
J’ai échangé un regard avec son papa qui était aussi ahuri que moi.
– Tu as envie d’apprendre à lire…
– Oui!
Il me montrait des mots écrits et insistait.
Comment expliquer ce que j’ai ressenti?
Il a deux ans et commence à peine à parler.
Même s’il ne prononce pas tout correctement, il s’essaie à la construction des phrases et tient une conversation.
Mais lire…
J’ai été sidérée de constater qu’il avait déjà réalisé que les lettres n’étaient pas des dessins, mais qu’elles étaient porteuses d’un message encore codé pour lui.
En le regardant, j’ai été propulsée en arrière dans mon enfance, où, comme lui, j’ai été intriguée par le sujet et j’ai appris à lire par mimétisme et déduction, seule… mais à 4 ans!
Il a deux ans de moins!
Je sais qu’il aime bien ma bibliothèque et que, quand l’envie lui vient, il passe beaucoup de temps à choisir les livres que nous découvrons ensemble.
Mais là…
Comme il me regardait avec insistance, j’ai répondu:
– Ecoute… pour le moment, tu es un peu petit. Mais l’année prochaine, si tu en as encore envie et si papa est d’accord, je veux bien commencer à t’apprendre à lire. D’accord?

Il n’a peut-être pas tout compris… enfin… je ne sais pas.
Il a souri et a réagi:
– Oui!
Son papa a accepté l’idée, aussi surpris que moi par la scène.
Et nous avons poursuivi nos jeux.
Dans les jours suivants, mon Capitaine a commandé quelques jeux et méthodes de lecture afin d’être prêts le moment venu.

Je pensais que l’histoire allait s’arrêter là, qu’il oublierait.
Mais ce lundi, Aurélien passait à nouveau la soirée à la maison, seul avec nous, cette fois.
Tandis que son Papyno s’était éclipsé à la cuisine, nous regardions un livre jeu ensemble.
Bien calé contre moi, il a mis son petit doigt sur le texte de la page et l’a regardé.
– Pitine?
– Oui, Pomme?
– Pas Pomme, Au’é’ien!
– Oh, pardon… Et moi, pas Pitine: Mamitine.

Il a souri.
– Mitine?
– Oui, Aurélien?
– Au’é-ien lire!
– Encore? Tu veux vraiment apprendre à lire, toi!
– Oui. Allez, Pitine!
– Bientôt, Loulou… Il faut que tu sois un tout petit peu plus grand…

Depuis la première fois qu’il m’en a parlé, il n’a pas changé d’avis.
Est-ce que je comprends bien sa demande ou est-ce que je projette sur lui un fantasme?
Je suis passée à autre chose.
Nous avons continué à regarder le livre, à chercher les objets caché.
– Mitine?
– Oui?
– Lire…
Il l’a prononcé si tristement, ce petit mot, que je n’ai pas pu résister.

– Bon… regarde… Tu vois, là? C’est une lettre. Elle s’appelle A.
– Aaaaa!
– Oui. C’est une lettre très contente! Aaaa!

Il a ri.
Et j’ai recommencé à jouer avec le livre et lui.
A chaque fois qu’il croisait un gros A, il me regardait triomphalement et clamait: Aaaaa.
– Mitine?
– Oui?
– Encore!

J’ai réfléchi…
– Ecoute, tu sais ce qu’on va faire?
Il  m’a regardée:
– On va faire comme pour les bonbons. Tu peux en avoir un seul, quand tu viens (NDLR: Enfin… en principe!) . Et un autre la fois d’après. Là, on apprend une lettre, on joue avec elle, et je t’en apprends une autre la prochaine fois, si tu en as envie. D’accord?
– Oui!

Mince… je crois qu’il a vraiment envie d’apprendre à lire!
Si la semaine prochaine il n’a pas oublié et en redemande… on continue!
Et si ce n’est pas le cas: nous avons passé un moment formidable et posé un tout petit jalon!

Martine Bernier