Lorsqu’Eya, 5 ans, vient nous rendre visite avec sa maman, elle a pour habitude de se ruer sur le panier des marionnettes, d’en extirper le petit âne Martin, de me l’apporter, de l’enfiler presque de force sur ma main, et d’entamer avec lui d’interminables conversations.
Ce qui, avouons-le, m’amuse autant qu’elle.
Elle prend également Jules, petit âne beaucoup plus accommodant que son cousin Martin, qui, lui, a un franc parlé qui la fait s’écrouler de rire.
Il y a deux semaines, lors de sa dernière visite, au cours de l’une de ses conversations avec Martin, faite de confidences et de joyeux délires, elle m’avait interrogée… et avait compris que ce que disait cet âne, c’était ce que je pensais!
– Et Jules?
– Aussi! Il aime bien que tout aille bien, que tout le monde soit gentil… il est plus calme que son cousin.
– Et Martin, lui, ça l’énerve?
– Non, non, Martin aime bien que tout se passe bien, mais quand quelque chose lui paraît fou ou injuste, il dit ce qu’il pense! C’est un petit âne indigné!
Elle rit:
– J’adore quand il dit « ça va pas la tête? »
– Ah ça… c’est SA phrase!!
La première fois qu’il l’avait prononcée, c’était lorsqu’Eya, qui avait alors 4 ans, lui avait confié qu’elle hésitait à accepter la demande en mariage de son amoureux.
Martin, ahuri, n’avait rien trouvé d’autre à dire que son désormais emblématique « Mais… ça va pas la tête?! ».
Eya avait éclaté de rire et lui avait demandé pourquoi il avait dit cela.
Ce à quoi il avait répondu: « T’as 4 ans! On ne se marie pas à 4 ans! Il est malade, ton copain! »
Toujours hilare, elle avait convenu que c’était peut-être légèrement prématuré.
Il y a deux semaines, donc, en regardant Martin dont le ventre blanc tournait au gris, j’ai annoncé:
– Je pense que je vais devoir le laver.
– Ah bon?
– Oui, regarde son ventre: il est gris! Vous l’aimez tellement, Aurélien et toi, qu’il devient tout sale!
– Mais tu ne vas pas le mettre dans la machine à laver?
– Pourquoi?
– Parce qu’il va se cogner! Tu dois le laver dans une baignoire.
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Hier, sachant qu’Eya revient dans quelques jours, je me suis décidée à procéder à la toilette de Martin.
Il a pris son bain dans le lavabo, comme promis, et a passé la nuit à sécher sur le sèche serviettes.
Au petit matin, je l’ai retrouvé à peu près sec.
La tête et l’intérieur du corps nécessitent encore quelques heures de séchage, mais il était prêt à être recoiffé.
J’ai donc brossé Martin avec soin.
En le regardant, une foule d’images se sont bousculées dans ma tête, liées aux deux enfants.
J’avais hésité à conserver des jouets chez nous, ne sachant pas s’il était préférable de les leur donner ou de les laisser ici.
Aujourd’hui, je sais que j’ai eu raison.
Si Martin était parti avec Eya ou Aurélien, il aurait été une marionnette comme une autre et n’aurait sans doute jamais pris une telle importance.
Peut-être même aurait-il été délaissé au milieu des autres jouets.
Ici, il est devenu un confident, une sorte de farfadet un peu piquant, plein de fantaisie.
Prêt à affronter la prochaine visite de sa meilleure copine.
Martine Bernier