Ma grand-mère maternelle avait l’habitude de dire assez souvent: « La vie est une dure lutte… »
Si j’ai fini par comprendre le sens de sa phrase, je me suis beaucoup demandé, lorsque j’étais enfant, ce qu’était « une durlutte ».
J’imaginais qu’il s’agissait d’un aspect de la vie qui n’était pas accessible aux enfants et qu’il fallait avoir beaucoup vécu pour mériter l’accès à la durlutte.
Etait-ce un genre de confrérie secrète réservée aux adultes, un univers parallèle peuplé de choses passionnantes et mystérieuses, une sorte de friandise interdite aux plus jeunes?
En désespoir de cause, je m’étais résignée à ne pas poser la question et à attendre qu’un jour, la porte de ce monde étrange s’ouvre d’elle-même devant moi lorsque je serais très, très vieille.
C’est-à-dire vers l’âge de 20 ans.
Je n’ai pas eu à attendre jusque là.
Un jour que ma vénérable grand-mère lançait sa phrase lors d’une réunion de famille, quelqu’un a dit:
– Allons, allons, Marthe, n’exagérons rien! Pas si dure que ça, quand même… il y a de beaux moments!
Je devais avoir 8 ans, j’avais les oreilles aux aguets… et j’avais raison.
Cette réaction m’a fait réaliser que « durlutte » devait s’écrire en deux mots!
J’ai filé dans ma chambre en emportant le vieux dictionnaire…
Dur, je savais ce que cela voulait dire.
Il ne me restait plus qu’à trouver « lutte ».
Et c’est ainsi qu’un mythe s’est effondré.
J’ai regagné le salon en traînant un peu les pieds.
La durlutte était démasquée… et, sur le moment, cela m’a plombé le moral!
Quand mon père a vu que son dico avait disparu et qu’il m’a interrogée à ce sujet, je lui ai parlé de l’épisode que je venais de vivre.
Il a tellement ri qu’il en pleurait.
Et aujourd’hui, quand quelqu’un prononce cette phrase, souvent de façon humoristique désormais, j’ai envie de rire en repensant à l’anecdote et à l’interprétation enfantine qui m’a protégée du blues des adultes dans ces années-là.