Les multiples vies d’un vieux compagnon

Il y a dans chaque maison des meubles qui prennent, sans que l’on s’en rende vraiment compte, une place plus importante que leur fonction première.
C’est ainsi que notre vieux meuble de cuisine est devenu un véritable aventurier de notre quotidien, un compagnon de déménagement, et même un rescapé de la déchetterie.
Ce meuble, au départ, n’avait rien de remarquable.
Petit, deux tiroirs, deux portes, quatre pieds, en bois, simple et sans éclat.
Son histoire commence avant ma rencontre avec mon Capitaine, quelque part à Poligny, où il l’avait acheté un ou deux ans auparavant.
Quand nous nous sommes installés ensemble en Suisse, le meuble a suivi, avec son air effacé et ses petites entailles.
À l’époque, il n’avait pas encore la chance d’être mis en lumière dans notre cuisine ; il vivait sous la TV, servant à ranger tout ce qui n’avait pas vraiment de place ailleurs.
Sa troisième vie s’est déroulée dans l’ombre, fondue dans le décor du salon.

Puis, il y a un peu plus de sept ans déjà, nous avons posé nos valises en Franche-Comté.
Ce bon vieux meuble est arrivé, brinquebalant et franchement prêt pour la retraite.
Mais au lieu de le reléguer à la déchetterie, j’ai eu une idée: un relooking maison.
Armée de peinture et de patience, je lui ai offert un costume flambant neuf et des poignées en porcelaine ornées de petites fleurs. Transformé en meuble de cuisine coquet, il semblait fier d’accueillir tout ce qui pouvait se glisser dans ses entrailles fraîchement rénovées.
Sept ans et demi ont passé et le poids des années a commencé à le rattraper.
Les portes fermaient mal, les tiroirs restaient coincés et déraillaient, et son dos s’effondrait.
Cette fois, j’ai décidé d’acheter un nouveau meuble, que mon Capitaine a monté avec soin, et qui offre à la fois davantage de place et meilleure mine à la cuisine.
Je m’apprêtais à faire mes adieux à notre vieux compagnon déglingué.
Mais c’était compter sans l’attachement indéfectible de mon Capitaine.
Il a ressorti ses outils, pour un dernier baroud d’honneur, a consolidé le fond, refixé les planches, renforcé les tiroirs.
Et voilà notre compagnon, fièrement installé dans la véranda, prêt pour sa quatrième vie.
Pour un meuble sans pedigree ni valeur marchande, notre indestructible est devenu le témoin de nos déménagements et de notre capacité à nous réinventer avec lui.
On appelle cela un rescapé.

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