Les orphelins de Ceausescu

À la fin des années 80, puis au début des années 90, j’ai effectué plusieurs voyages en Roumanie, juste après la chute du régime Ceaușescu.
C’est là que j’ai découvert une réalité qui m’a profondément marquée: celle des orphelinats surpeuplés, dans lesquels vivaient des enfants souvent privés de soins, de contacts suffisants, d’attention et du confort le plus élémentaire.
Il y avait bien sûr du personnel sur place, des personnes qui faisaient tout leur possible, mais les moyens manquaient, et l’ampleur de la tâche les dépassait.
J’ai visité ces lieux, j’ai rencontré ces enfants, et j’en suis ressortie bouleversée.
Alors, j’ai décidé de faire quelque chose.
J’ai organisé, avec le soutien de la population locale où je vivais à l’époque, des convois humanitaires pour leur apporter ce que nous pouvions rassembler: des vêtements, des médicaments, du matériel de première nécessité.
Et puis les années ont passé.
Récemment, je me suis demandé ce que ces enfants étaient devenus.
J’ai cherché…
Une enquête du comité IICCMER (Institut pour l’Investigation des Crimes du Communisme) estime qu’environ 15 000 mineurs sont morts entre 1967 et 1990 dans des institutions pour enfants handicapés ou abandonnés, en raison notamment de la malnutrition, du manque de soins et des conditions insalubres.
Grâce aux efforts de l’ONG Hope and Homes for Children (HHfC) et de l’État roumain, le nombre d’enfants en orphelinat est passé d’environ 100 000 à moins de 7 500 en 2010, et à un peu plus de 1 000 aujourd’hui.
Ces institutions ont été progressivement fermées, remplacées par des placements familiaux, des familles d’accueil, ou de petites structures de vie supervisée.
D’après ce que j’ai trouvé dans la presse internationale, beaucoup de ces enfants ont été adoptés, parfois à l’étranger, d’autres ont été placés dans des familles d’accueil en Roumanie.
Le pays a entamé, au fil des années, une profonde réforme de son système de protection de l’enfance grâce à laquelle le nombre d’enfants vivant dans des institutions a été drastiquement réduit.
Aujourd’hui, les orphelinats d’État ont presque tous disparu, remplacés par des structures plus petites, ou par des familles relais.
Parmi les « orphelins de Ceaușescu », tous n’ont pas eu les mêmes chances.
Certains conservent des blessures liées à cette période.
Mais une transformation s’est opérée, lentement, sous l’impulsion d’organisations locales et internationales.

Ce que j’ai vu dans ces années-là ne m’a jamais quittée.
D’autant que j’ai vécu auprès d’eux des événements marquants.
J’ai pu leur rendre visite grâce à un médecin roumain qui était sensibilisé à leur sort.
Je leur avais apporté des vêtements, des produits d’hygiène, des jouets, des friandises…
J’aurais voulu pouvoir faire tellement plus…
Ces enfants assoiffés d’amour me serraient contre eux, quémandaient des câlins que je leur ai donnés.
Mais au bout d’une heure ou deux, le médecin m’a dit qu’il fallait repartir.
Ces petits ont fait ce qu’ils faisaient à tous les visiteurs qui leur témoignaient de l’attention: ils ont essayé de me retenir.
Ils s’accrochaient à moi, me suppliaient de les emmener.
C’était déchirant.
Au cours de cette scène, l’un d’eux a eu un geste malheureux: en me tirant sur la main, il est tombé sans me lâcher, bousculé par les autres.
J’ai tout de suite senti une douleur fulgurante mais bon… ce n’était pas franchement le moment de m’en préoccuper.
Un peu plus tard, l’un de mes compagnons de route m’a posé une attelle de fortune à l’aide de deux peignes, de ouate et d’une bande bien serrée.
J’ai passé la fin du séjour ainsi.
De retour en Suisse, j’ai été voir mon médecin pour requinquer mes reins et lui montrer mon « bobo », toujours très douloureux.
Il m’a fait passer une radio et le verdict est tombé: j’avais un poignet cassé.
Et comme le temps avait passé, la recalcification était commencée, mais mal faite.
Ce petit garçon, je pense à lui à chaque fois que les changements de temps réveillent des douleurs qui me rappellent cet épisode.
Un enfant tellement désespéré que, comme ses camarades d’infortune, il aurait fait n’importe quoi pour qu’une inconnue le prenne avec elle…
Ce jour-là, je me suis sentie misérable de ne pas avoir pu le faire…

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