J’aime les oeuvres de Camille Claudel depuis des années. Sa vie me fascine, son talent me touche, la délicatesse de ses sculptures me séduit totalement. Et pourtant, il est un mystère dans sa vie que je n’arrive pas à accepter.
Née en 1864, elle a été internée en 1913. Sa façon de vivre devenait de plus en plus inquiétante, ses proches craignaient ses comportements paranoïaques, sa façon de se renfermer, de s’isoler.
L’amour qu’elle portait à celui qui fut son maître, Rodin, et le comportement désastreux que celui-ci a eu à son égard, l’ont rendue malade, physiquement et psychiquement. A tel point qu’elle a donc été placée dans un asile. J’en parlais à l’une de mes amies, psychiatre. Nous étions d’accord pour estimer que la psychiatrie, à l’époque, en était à ses premiers balbutiements, bien différente de celle d’aujourd’hui. Les patients étaient enfermés et livrés à eux-mêmes.
Camille est morte en 1943. Malgré les appels désespérés qu’elle a lancés à sa famille, elle n’a jamais retrouvé la liberté. Et n’a plus jamais sculpté.
Sa profonde sensibilité, son talent, son doigté, ont été perdus à jamais. Plus aucune oeuvre n’est née de ses mains. Et c’est terriblement frustrant. J’imagine le désespoir de cette femme qui, peut-être, avait retrouvé suffisamment de lucidité et de sérénité pour pouvoir espérer revivre librement et se consacrer à son travail. Personne ne s’est assez penché sur son cas pour lui offrir une chance de réintégrer le monde des vivants. Pas même son frère, Paul Claudel, qui lui était pourtant attaché.
Personne ne saura jamais vraiment si elle aurait pu revivre normalement. Au-delà du drame qu’elle a vécu, la triste histoire de Camille a un aspect terriblement frustrant pour tous ceux qui aiment son travail. Lorsque l’on visite une exposition de ses oeuvres, on ne peut qu’être sous le charme de ces merveilles. Et, au moment de sortir, l’envie d’en voir plus, encore et encore, est très forte. Savoir qu’il n’y en a pas d’autres mais qu’il y aurait pu en avoir, si elle était née plus tard, alors que la psychiatrie avait évolué dans le respect et les soins des patients, est terriblement triste.
Camille Claudel a insufflé la beauté et la finesse à la pierre. Elle a aimé, elle a été trahie, abandonnée, elle a vécu, elle a fait vibrer ses sculptures, les a rendues vivantes, frissonnantes.
Elle a peut-être été rayée du monde. Mais ce monde, elle a contribué, pour longtemps, à le rendre plus beau…
Martine Bernier