La nuit était tombée.
J’étais installée dans le canapé, plongée dans un ouvrage sur Matisse.
A côté de moi, Pomme méditait, couchée sur le dos, les quatre pattes en l’air, la tête posée contre moi.
J’ai eu le malheur de lui dire:
– Ca va? Tu déstresses de ta journée?
La tête à l’envers, elle m’a lancé un regard qui me disait: « Inculte qui ne connaissez rien au yoga, passez votre chemin! »
Vous allez dire que je n’aurais pas dû insister.
C’est vrai… mais je n’ai pas pu m’en empêcher:
– Tu es triste que Bruno ne soit pas là? Tu veux jouer?
Jouer…
Mot magique que j’aurais mieux fait de m’abstenir de prononcer.
En une fraction de seconde, mon Mogwaï s’était retournée comme une crêpe pour se transformer en Gremlins.
Elle a commencé par me mordiller les doigts en sautillant sur place, puis à bondir hors du canapé, galopant à travers tout l’appartement en jappant pour revenir à côté de moi dans un bond de gazelle croisée avec un kangourou hystérique.
Et c’est là que la crise a vraiment commencé.
Surexcitée, elle s’est mise à aboyer tout en jouant avec mes doigts transformer pour l’occasion en « nonosses » croustillants.
Des aboiements aussi joyeux qu’impérieux et stridents.
Pendant une grosse dizaine de minutes, elle a mené le bal, repartant faire trois fois le tour du salon à la vitesse de l’éclair avant de revenir m’intimider sur le canapé.
Je pense que cela aurait pu durer des heures si je ne m’étais pas décidée à la stopper.
– Pomme, ça suffit!
Un »wouaf » suraigu m’a répondu tandis qu’elle se couchait, tête posée sur ses pattes avant et postérieur en l’air, dans la position du chien lion prêt à bondir.
– J’ai dis arrête!
C’est là que mon Mogwaï a compris que je ne plaisantais pas.
Je voulais la calmer avant qu’elle ne se prenne complètement pour un piranha mangeur de doigts.
Seulement voilà…
Quand elle joue avec mon Capitaine, ce dernier est mort de rire lorsqu’elle le défie de cette façon et l’encourage à le poursuivre de pièce en pièce.
Mon attitude était incompréhensible pour elle.
Elle m’a lancé un long regard de reproche et s’est couchée en poussant un énorme soupir.
Elle l’a pensé si fort que je l’ai presque entendue me dire « Ces humains… même pas drôles… Tu me déçois beaucoup. »
Pendant deux ou trois minutes, nous ne nous sommes ni regardées, ni adressé la parole.
Je commençais à me dire que j’avais vraiment un coeur de pierre, que ce malheureux chien devait être frustré, qu’elle devait m’en vouloir, que…
J’ai été coupée dans mes pensées par un léger ronflement.
Visiblement, elle était déjà passée à autre chose!
Quand, deux heures plus tard, j’ai posé mon livre, j’ai murmuré:
– Pomme? Bisou?
Elle qui semblait dormir profondément a bondi comme un ressort sur ses pattes et est venue couvrir mon visage de léchouilles enthousiastes.
L’heure Gremlins était passée!
Martine Bernier