Ce soir, dans mon club où, contrairement à ce qu’en pensent certains, (enfin… un « certain » en particulier!) on ne se gave pas de petits fours en buvant du champagne, il a été beaucoup question de la Roumanie.
La Roumanie, un pays auquel j’ai consacré trois ans de ma vie, entre 1989 et 1991.
J’en garde un bouquet de souvenirs. Mais parmi eux, il y a eu ce qui est resté pour moi un choc visuel exceptionnel.
Nous étions sur une route cabossée, en pleine campagne, en direction de Rimnicu Vilcea où j’étais attendue.
Devant nous, un camion un peu déglingué a perdu l’équilibre en passant dans une ornière, et s’est renversé sur le bas côté.
Et là… les portes arrières se sont ouvertes, et une multitude d’oranges ont roulé dans le pré.
Ces fruits roulant dans cette herbe très verte, c’était une vision quasiment féerique.
J’avais vu que le chauffeur était sorti indemne de son véhicule, et je n’arrivais pas à détacher mon regard de ce spectacle.
Cet orange et ce vert, le contraste entre ces deux couleurs pour lesquelles la main de l’homme n’est pas intervenue, était saisissant.
Nous sommes restés sans bouger, captivés, à regarder…
Et tout à coup, sortie je ne sais d’où, une myriade d’enfants est arrivée en courant et en criant.
Ils ont couru vers les oranges, et les ont ramassées avant de disparaître aussi vite qu’ils étaient venus.
Seuls quelques-uns d’entre eux restaient là, les fruits en main, à les regarder un peu perplexes.
Mihaïl, mon ami musicien qui m’accompagnait, m’a dit: « Ils ne savent pas ce que c’est, ils n’en ont jamais vu ».
Le spectacle de ces gamins retournant les oranges dans leurs mains sans savoir s’il s’agissait d’un jouet ou d’un aliment… c’était fascinant.
J’ai des souvenirs très précis des conditions effroyables dans lesquelles vivaient les enfants parqués dans les orphelinats, ceux-là même qui s’accrochaient à moi pour que je les emmène.
Les odeurs repoussantes, la saleté, le manque de soins, le désespoir de ces gosses perdus, dont personne ne se préoccupait vraiment.
La Roumanie, juste après Ceausescu, m’a ravagé le coeur.
Et puis il y avait ces couleurs à couper le souffle.
J’étais là pour les enfants, pour les amis que je me suis faits sur place.
Mais on ne se refait pas, l’art, la peinture, me touchent quelle que soit la partie du monde où je me trouve.
Et là… je garde encore au fond des yeux le bleu si particulier de certaines icônes et de certains vitraux.
Un bleu profond, intense, magique.
Mes amis, grâce à leurs relations, me permettaient d’entrer dans des lieux qui n’étaient pas ouverts aux étrangers.
C’est là que j’ai vu les plus beaux trésors de l’art roumain.
Des icônes d’une valeur inestimable si l’on tient compte de leur ancienneté, de leur beauté.
Les voir, jalousement surveillées par des pops dont les regards devenaient tendres lorsqu’ils se posaient sur les oeuvres dont ils avaient la garde a été un privilège inoubliable.
M.B.