La vie, la santé, ne tiennent qu’à un fil…
Pour le cas où je l’aurais oublié, le destin se charge de me le rappeler ces jours-ci.
Une nuit en enfer, un appel dans la nuit, Eric qui arrive, puis un médecin plutôt paniqué, une ambulance qui file, sirènes hurlantes, au petit matin, une hospitalisation d’urgence et une première opération.
Trop mal pour avoir peur…
La nouvelle qui tombe le soir même: deux, voire trois autres interventions nécessaires, dont une dans les jours à venir et l’autre ou peut-être deux autres, plus conséquentes, sous peu.
L’impression que, une fois encore, le ciel tombe sur la tête.
Serrer les dents.
Et sourire, ne pas montrer un visage tendu, parce que c’est la moindre des politesses.
Je savais, au fond de moi, je sentais que quelque chose se préparait.
Je ne pouvais pas sortir physiquement indemne de ces derniers mois.
Mais à ce point…
Prise dans ce tourbillon, je retrouve mes réflexes de survie.
Le premier me pousse à sortir de mon « cas » pour m’intéresser à ceux qui m’entourent,
Les ambulanciers, les infirmières et infirmiers, les médecins, les aides infirmières, les anesthésistes, tous ceux qui font partie de la chaine des soins, sont pour moi magnifiques de dévouement, de prévenance et de compétence.
Pourquoi ne pas les citer, eux qui passent leur vie à soulager celle des autres?
J’envoie une pensée reconnaissante à toute l’équipe des urgences, de la salle d’opération puis de réveil, et à toute l’équipe de la chirg sud de l’Hôpital de Monthey (Suisse)…
A toutes celles et ceux, là-bas, qui m’ont confié des bouts de leur vie, de leur histoire, qui n’ont été avares ni de leur temps ni de leur gentillesse.
Et puis, il y a tous ceux qui se sont manifestés, qui m’ont aidée pour Pomme, pour tout ce qui doit être fait dans ces moments-là, qui me soutiennent par leurs messages, de Suisse, de France et de Belgique…
Et surtout, il y a celui qui, même s’il ne partage plus ma vie au quotidien, reste celui qui veille et qui intervient à chaque fois qu’il me sait en péril, celui qui m’a une fois encore aidée et protégée, ne m’abandonnant à aucun moment: Eric.
L’autre réflexe me fait vivre une expérience angoissante. Cette manie que j’ai de me mettre à la place des autres…
Pour la première opération, puisque l’on me donne le choix, je choisis une anesthésie péridurale, un « rachis », comme disent les anesthésistes.
Elle vous permet de garder conscience, seul le bas du corps étant totalement endormi depuis le milieu du dos.
En le sentant peu à peu devenir insensible, ne plus répondre aux ordres du cerveau, je suis prise d’une angoisse, dont je n’ai bien sûr pas parlé.
Plus un nerf, plus un muscle de réveillé.
J’assiste à toute l’intervention. D’où je me trouve, je peux voir l’écran, voir le parcours de la caméra dans mon propre corps, voir l’intervention du chirurgien, entendre ses commentaires.
Il faudra environ trois ou quatre heures pour que je retrouve l’usage de mon corps, les sensations, pour que la faiblesse disparaisse.
Pendant tout ce temps, je pense à ceux qui, victimes d’un accident, deviennent paralysés.
Je réalise l’horreur, le désespoir qu’ils doivent ressentir.
Moi, je sais en le vivant que je vais récupérer ma sensibilité.
Mais eux?
Comment arrivent-ils à atteindre un état d’acceptation de ce qui est inacceptable?
Plus tard, une femme médecin anesthésiste m’a expliqué, en salle de réveil, avoir vécu la même expérience, aussi mal que moi. Elle non plus n’a pas supporté cette sensation… Puis elle m’a avoué, connaissant mon métier, qu’elle adorait écrire, était de sensibilité littéraire, même si elle est scientifique…
La paralysie momentanée… Je n’oublierai jamais cette expérience, d’autant que je vais la revivre dans moins d’une semaine.
Evidemment, la solution serait de choisir l’option anesthésie totale, refuge parfait pour ne rien voir, ne rien entendre, ne pas savoir.
Mais sachant qu’elle me sera imposée pour la ou les opérations suivantes, je sais que je dois faire l’effort d’éviter à mon cerveau de vivre trop souvent le grand sommeil.
Ce choix est l’un des seuls qu’il me reste dans le cas présent.
Je ne décide plus de ce qui va se passer.
C’est le chirurgien qui réfléchit à la solution la meilleure.
Il a le choix entre deux. Celle qu’il va prendre, m’a-t-il confié hier, n’est pas dénuée de risques. Mais l’autre, si elle est moins agressive, me mettrait devant un problème apparemment insoluble.
Quelle sensation étrange de ne plus être maître des décisions qui se rapportent à notre santé…
Mais j’ai de la chance: je fais partie de ceux qui ont pu constater de visu la compétence du chirurgien qui intervient.
Etonnante expérience…
Dans la soirée, l’un des membres du personnel de la chirurgie vient me parler. La nuit précédente, nous avions déjà eu une longue conversation.
Il me dit: « J’ai appris que les nouvelles ne sont pas très bonnes. Ne vous inquiétez pas, le chirurgien sait ce qu’il fait. S’il veut vous opérer dans l’hôpital où il est chef de service, c’est parce qu’il est entouré de son équipe et que le CHUV est mieux équipé qu’ici. »
Retour chez moi ce vendredi. Six jours me séparent de la prochaine opération.
Allez savoir pourquoi, ces prochaines semaines ne m’enchantent pas.
Martine Bernier