Lorsqu’ils étaient hauts comme trois pommes et que j’évoluais dans une sphère très différente de celle d’aujourd’hui, j’avais écrit pour mes deux fils une chanson intitulée: « Par les yeux de mes enfants ».
Aujourd’hui que le ciel vacille pour moi, encouragés par Eric, ils serrent les rangs autour de moi.
Maladroits, tendres, patauds, angoissés et serviables.
C’est dans leurs yeux que je lis leur inquiétude.
Leurs regards sont des miroirs dans lequel je me mire.
De véritables bulletins de santé passés au filtre de leur interprétation personnelle.
Je fais de laborieux efforts pour que ce ne soit pas le cas, mais il semblerait que leur mère ressemble un peu à un zombie, depuis quelques jours.
Et pas un de ces jolis zombies apprêtés et peu souriants que l’on peut admirer sur les podiums des défilés de mode!
Non: un vrai, un pur zombie, quasi ectoplasmique, selon les heures.
J’essaie d’en rire, mais apparemment cela ne les amuse pas.
Je voudrais faire une foule de choses, mais je n’en ai pas la force.
Curieuse impression… le cerveau donne des ordres et le corps l’envoie balader.
Irrespectueux!
Un ami m’a demandé: « Que voudrais-tu en ce moment? »
J’ai répondu: « Etre un pur esprit. »
Simplement pour pouvoir ignorer les limites et les malaises imposés par mon physique récalcitrant et retrouver l’indépendance de mes décisions.
Je n’aime pas du tout ces limites…
Ce n’est pas un hasard si, il y a à peine quelques jours, j’ai découvert le livre du Docteur Dufour (« Rebondir ») et fait l’interview de ce dernier.
Ce qu’il a écrit est d’une justesse que je vérifie particulièrement en ce moment.
Sa façon d’expliquer pourquoi nous vivons les maladies et les accidents, quelles en sont les raisons profondes… je sais qu’il a raison.
Sa manière de nous encourager à nous ancrer dans le présent est tellement proche des préceptes bouddhistes qu’elle rejoint la philosophie de plusieurs de mes amis.
L’expérience d’une bonne « casse » physique peut se transformer en une expérience spirituelle profonde, surtout lorsque l’incertitude tient une place importante.
C’est ce que j’expérimente en ce moment.
Il y a quelques jours, une femme que je découvre peu à peu, pleine d’intelligence et d’humour, m’a dit en plaisantant qu’elle allumait pour moi une bougie devant son petit Bouddha rouge.
Le dit petit Bouddha est devenu un sujet mi-jeu mi-sérieux entre nous.
Il est en cire, et, me disait sa propriétaire, avait une mèche sur la tête qui faisait de lui une banale bougie.
Mèche qu’elle a coupée, lui rendant sa vocation de digne Bouddha.
Je ne me mets sous la protection d’aucune statuette.
Mais j’aime savoir qu’un petit Bouddha rouge me fait un clin d’oeil quelque part.
Infiniment touchée par les messages qui me parviennent, les commentaires laissés sur Ecriplume, les appels, les conversations, par tout ce qui est sincère (nettement moins par ce qui ne l’est pas), je me sers de chacun d’entre eux pour garder l’équilibre.
Il en faut beaucoup en ce moment: l’équilibre en question est un peu précaire.
C’est étrange…
Quand je me sens trop trébucher, trois images passent devant mes yeux, de trois « objets » vus au même endroit.
L’harmonie de l’ensemble m’avait marquée.
Il s’agit d’un bonsaï vieux d’une centaine d’années, au tronc torturé, d’un groupe d’orchidées plein de grâce et d’un tableau bombé représentant deux voiliers partant côte à côte vers le large….
Martine Bernier