Il n’est pas encore 6 heures.
Le jour se lève à peine sur un ciel lourd de nuages.
Une petite tête hirsute se pointe à côté de la mienne: Pomme est réveillée.
Et quand Pomme est réveillée, la journée doit commencer.
Elle se dresse sur ses pattes arrières, prend appui sur le lit et me donne un coup de langue un peu timide.
Je sais ce que cela veut dire…
Pour elle, c’est l’heure.
La première balade nous entraîne au torrent, dont le bruit de l’eau déferlante imprime chacune des journées de la région.
Pomme sait que, au retour, j’ai une série de tâches quotidiennes à effectuer, au cours desquelles elle me suit pas à pas.
Comme tous les bébés chiens qui se respectent, mon petit Mogwaï perd ses dents de lait.
Ses quasi sourires édentés sont touchants…
Je lui prépare une nourriture adaptée dont elle raffole, elle qui a pourtant un appétit d’oiseau en temps normal.
Elle ne me quitte pas de la journée, vient régulièrement m’expliquer qu’elle veut sortir, jouer, se faire câliner ou qu’elle veut un os frais.
Sa capacité d’expression me fascine.
Et surtout, que l’idée de l’ignorer ne me traverse pas l’esprit: elle peut devenir très, très insistante, revendiquer d’une façon plus que sonore.
Je retrouve mon travail alors que tout le monde dort encore.
Articles, livre, journal à boucler, blogs, recherche de documentation, prises de rendez-vous pour les prochaines interviews…
J’ai de la chance sur ce point: j’aime mon métier.
Infiniment.
Il me permet de rarement faire deux fois la même chose, de découvrir une multitude de sujets différents.
La veille, pour les besoins du livre, je suis entrée dans un monde qui m’est totalement inconnu.
Recherches, contacts téléphoniques, questions pour en connaître un peu plus…. j’aime cette démarche qui permet de finir la journée un peu moins ignorante que lorsqu’elle a été commencée.
Ce matin, avant de me réatteler à la tâche, je dois rédiger un devis pour une tâche demandée par un musée.
Là encore, le challenge est différent mais m’intrigue.
Depuis que j’ai envoyé la première partie de mon livre à mon éditeur, le travail a avancé.
Pas assez vite à mon goût, mais c’est un labeur de fourmi.
Il ne s’agit pas d’une écriture en flot continu, mais d’une recherche importante, pour chaque chapitre, qui doit être vérifié, documenté avant de passer à l’écrit proprement dit.
Pour cet ouvrage, je pars du principe que je dois réussir à m’étonner moi-même.
Si mes informations se cantonnent dans les axes qui me sont familiers, je grogne.
Dès que je trouve une piste me permettant d’aller plus loin, d’ouvrir une nouvelle porte et d’entrer dans un monde qui m’est inconnu, je suis satisfaite.
Ce qui m’étonne peut peut-être étonner les lecteurs potentiels…
Quand j’écris, je ne vois pas le temps passer.
Et, en dehors de ce que je dois faire pour suivre mon planning et des obligations liées à Pomme, je perds un peu la notion du quotidien.
D’autant qu’il faut composer avec mon état de santé qui n’est pas encore au top.
De lui je fais abstraction ou j’essaie. Je sais que, dans une dizaine de jours, les examens vont reprendre et certaines décisions seront prises.
J’aviserai à ce moment-là…
A la deuxième sortie de Pomme de la journée, j’ai un livre à la main, incapable de lâcher le sujet sur lequel je suis penchée depuis l’aube.
Et là encore, le quotidien me rattrappe.
Le nez dans mon bouquin, je manque de me heurter à une vache, qui trotte toute seule sur le parking.
Cette fois, elle n’a plus rien à voir avec une vachette.
C’est un véritable mastodonte blanc et roux que j’ai en face de moi.
Vu que mon calumet de la paix est resté chez moi, je tapote le mufle de la dame en signe d’amitié, lui glisse un « bonjour, toi », à tout hasard, et lui demande si elle ne voudrait pas avoir l’extrême amabilité de remonter d’elle-même dans son pré où l’attendent ses camarades massées au-dessus de nous.
Mon interlocutrice ne bouge pas d’un centimètre, me regarde d’un air bête mais dénué d’agressivité, et jette un coup d’oeil beaucoup plus intéressé à Pomme, ravie de cette nouvelle rencontre.
L’une de mes voisines apparaît à la fenêtre, jauge la situation d’un coup d’oeil et, après un court conciliabule, file téléphoner à l’agriculteur en charge du troupeau, pour la deuxième fois de la semaine.
Je n’insiste pas, laissant la fugueuse déguster les « fleurs de beurre » jaune du parking.
Contre l’avis de mon havanais de bichon, je retourne à mon clavier.
La journée passe entre les sorties, les pause câlins et jeux de Pomme, les appels téléphoniques, la visite de ma voisine, royale pâtissière, qui veut me faire partager ses derniers biscuits.
Toutes les vingt minutes, une alerte sonne sur mon ordinateur, seule concession que je fais aux réalités quotidiennes, sur les conseils de l’un de mes médecins.
Cette alerte qui apparaît sur l’écran me répète inlassablement: « Tu dois boire, nom d’un chat!!! »
La nuit tombe quand je m’arrête d’écrire.
Dans la soirée, je préviens l’un de mes fils qu’il faut mettre en route le « code orange »: je vacille.
Mais la journée n’est pas finie.
Je file me coucher avec le dernier livre d’Eric Naulleau que je m’étais promis de lire.
Etonnant Naulleau…
Je me plonge dans son « Parkeromane ».
Martine Bernier