Quand j’ai appris, voici quelques jours, que Gérard allait probablement me quitter, j’ai eu un long frisson très froid le long de l’échine.
Il faut dire que nous nous connaissons depuis si longtemps…
On s’attache…
Gérard n’a jamais beaucoup travaillé.
Mais depuis quelque temps, il ne travaille plus du tout ou presque, paraît-il.
Un paresseux chronique, en somme.
Depuis que nous nous connaissons, il a eu des périodes où il s’est fait discret.
D’autres où il m’a empoisonné la vie.
Depuis un an, secoué par des événements que, comme moi, il n’a pas supporté, il dépérit.
Et là, me dit-on, si on le laisse faire, il m’empoisonnera tout court.
Gérard veut m’entraîner dans sa perte, semble-t-il.
Je n’ai jamais vraiment pu compter sur lui.
Il a toujours eu l’air inoffensif au premier abord.
En réalité, il est redoutable.
J’ai beau essayer de vivre en faisant comme s’il n’existait pas, il me rattrape toujours.
J’en connais un autre qui a exactement les mêmes caractéristiques.
Et pourtant, en photos, ils semblent si braves, tous les deux…
Ils sont étroitement liés l’un à l’autre d’ailleurs.
Le comportement de l’un a rejailli sur la santé de l’autre.
Le départ définitif de Gérard est pratiquement programmé.
C’est idiot, je ne l’aime pas vraiment, mais j’ai presque eu les larmes aux yeux quand on me l’a annoncé.
Bien que je m’en défende, il fait partie de moi.
Un départ, cela se prépare…
Il n’y a que les barbares qui partent en catimini en laissant derrière eux une terre brûlée.
J’en connais…
Gérard s’en va.
J’en souffrirai beaucoup, je le sais.
S’il ne prend pas la dernière chance qui lui est donnée, le dernier sursis qui pourrait lui être accordé mardi prochain, je vais devoir continuer ma vie s’en lui.
Mais personne ne sait si j’y arriverai.
Même pas moi.
Son frère jumeau reste là, dans les parages, pas toujours vaillant lui non plus.
Ah, j’oubliais un détail.
Gérard est mon rein gauche.
Oui, je sais…
C’est ballot.
Martine Bernier