Lorsque j’ai lu, voici quelques semaines, que des chercheurs pensaient avoir retrouvé les restes du Caravage, je ne me suis pas attardée à l’information.
S’ils étaient heureux d’avoir retrouvé la dépouille de l’illustre artiste italien dont le credo était de peindre la « vraie vie », pourquoi pas…
Quelques semaines plus tard, au Journal de 20 Heures de France 2, j’ai eu un choc.
Enterrés au cimetière de Porte Ercole, les restes du peintre ont été prélevés en 1956, comme ceux de 200 autres défunts, et ré enterrés tous ensemble dans la crypte de l’église.
Autant dire que retrouver les ossements de l’artiste relevait de l’impossible.
C’était compter sans la ténacité des scientifiques.
Ceux-ci ont exhumé l’ensemble des ossements, les ont transportés à Ravenne (centre de l’Italie), et les ont tous analysés.
En juin, la nouvelle était rendue publique:les ossements enregistrés sous le numéro 5 étaient attribués au peintre.
Comment le savent-ils?
On nous parle d’analyse ADN, et de recoupements: ces restes appartenaient à un homme d’environ 38-40 ans (Le Caravage est mort à 39 ans) décédé dans une période englobant l’année de sa mort (1610).
De plus, ces ossements présentaient une teneur anormalement élevée en plomb.
Indice probant puisqu’il semblerait que Le Caravage souffrait de saturnisme.
Au Journal de 20 Heures, donc, un groupe de messieurs radieux, en costumes-cravates, ont présenté un coffret en bois aux parois vitrées.
Sur un coussin de velours grenat, reposaient un demi crâne, un fémur et un ou deux autres os.
Mesdames et Messieurs, voici le grand Caravage!
Les ossements, nous disait-on, sont restés exposés deux semaines aux yeux du public, avant d’être installés sans doute à Porte Ercole, personne ne savait trop bien encore.
Le pire, c’est que la foule s’est déplacée pour « voir ».
Je n’aime pas, mais alors pas du tout, ce genre de démarche.
Pour moi, c’est une humiliation posthume.
Que ces recherches aient permis de découvrir que le Caravage est sans doute mort d’une infection générale et d’un coup de chaleur, soit.
Mais qu’il soit ainsi exposé… cela apporte-t-il vraiment quelque chose?
Seraient-ils contents, ceux qui le font, de se dire que l’on pourrait un jour disposer de leurs dépouilles sans leur consentement, même des siècles après leur décès?
Je préfère présenter à ma façon Michelangelo Merisi dit le Caravage, peintre lombard au talent immense.
De lui, nous gardons ses clairs-obscurs somptueux, ses personnages aux joues rondes (j’adore le personnage masculin de « La Diseuse de Bonne Aventure », ci-dessus), ses tableaux plus effrayants (« Méduse », commandé par le cardinal Del Monte, « La crucifixion de Saint Pierre » ou « Judith décapitant Holopherne ».
Et tant d’autres oeuvres fortes et belles.
Le Caravage a été à la base d’une révolution dans l’Art, estimait l’historien de l’art André Chastel.
Il a apporté une peinture sans préjugés, axée sur le corps, la réalité de l’objet.
Du Caravage, je garderai toujours des images de son talent.
Pas celle de son fémur.
Martine Bernier