Kim et le sapin

– Tu sais, je vais aller 11 jours chez toi.
– Ah bon?

Je regarde Kim, dont la bouille rosie par le froid dépasse à peine de son curieux bonnet.
Il n’aura mis que quatre ans pour réussir à séduire tout ce qui bouge, le bougre…
Ce samedi, grand jour: Jour du Sapin!
J’avais été le chercher dans la semaine, pas très haut mais généreux en branches, large.
Quand je l’ai vu, j’ai su que ce serait MON sapin.
Et la remarque goguenarde de Celui qui m’accompagne, lorsqu’il l’a découvert ce week-end (« Mais… pourquoi ne l’as-tu pas pris plus haut mais moins large?) n’y a rien fait.
MON sapin me tendait les branches, j’ai cédé à l’appel de la forêt!
Ainsi soit-il.

Dans la matinée, donc, nous nous sommes rendus à Evian pour aller chercher les petites mains du Père Noël.
Kim, Jee sa jolie maman et son beau-père, accessoirement mon fiston, se sont engouffrés dans la voiture après m’avoir couverte de roses.
Dans la voiture, Kim est intarissable.
Il me raconte son entrevue de la veille avec le Père Noël, et ces mille choses qu’il adore m’expliquer quand nous nous voyons.
Depuis quelques semaines, mes soucis de santé recommencent à pointer leur nez.
Pas question qu’ils me gâchent ce jour où Kim et Jee décoreront pour la première fois un vrai sapin.
Nous accrochons boules et guirlandes avec application, tout en parlant.
Quand vient le moment de sortir les personnages de la crèche, une crèche très particulière, aux personnages gracieux façonnés dans du papier froissé, je réalise que Jee les trouve beaux mais ne sait pas qui ils sont.
Je lui demande si elle connaît leur histoire.
Non. Thaïlandaise et de religion bouddhiste, elle n’a jamais eu l’occasion de s’intéresser au christianisme.

– Tu veux que je te la raconte?
– Oui!

En quelques minutes, je m’entends poser les premières bases de l’histoire de la Nativité.
Je réalise que, pour une jeune femme élevée dans la culture d’un Bouddha doux et paisible, l’épisode des bébés assassinés pour éviter l’arrivée d’un Messie est terriblement cruelle.
Jee regarde étrangement cette femme de papier qui a dû accoucher dans une crèche, et ces Rois Mages venus lui apporter des cadeaux fort peu pratiques pour un bébé!
Kim regarde les personnages de la crèche et rit quand je lui explique que, comme il n’y avait pas de chauffage, le boeuf et l’âne soufflaient sur le bébé pour qu’ils n’aient pas froid.
Nous recollons la tête de l’âne et l’aile d’un ange, abîmés durant leur séjour à la cave, et je décide de leur donner la deuxième crèche et les petits santons qui les accompagnent.

Le sapin terminé, Kim et moi allons poser dans une assiette le navet et les carottes pour les rennes du Père Noël.

– Et pour le Nez Rouze? Tu n’oublies pas?
– Rodolphe? Non, regarde: lui, il reçoit un sucre spécial, en forme de coeur!
– Et pour le Père Noël?
– Je mettrai un verre de lait et un biscuit frais. Si je le mets aujourd’hui, il ne sera plus très bon, tu comprends. Tiens, je te confie l’assiette, va la poser où tu veux.

Je le rejoins dans le salon: l’assiette est sur la table basse, loin de la convoitise de Pomme.
Kim rit de la voir s’intéresser à un bonhomme de neige pendouillant à une branche, le faisant se balancer en le poussant avec son nez.

– Matine, on va chercher la boîte verte?
La boîte verte, c’est son coffre à jouets, qu’il retrouve lorsqu’il vient me voir.
Exécution: nous allons le chercher dans mon bureau, et nos jeux reprennent.
Il sait prononcer mon prénom, mais je le soupçonne d’avoir deviné combien il me fait fondre quand il supprime le r…

Dans l’après-midi, lorsque vient l’heure de les raccompagner, je vois le visage de Kim se froisser.
– Bon, Kim, deuxième étape de notre plan: nous devons surtout ne pas être à la maison trop souvent pour que le Père Noël puisse venir poser les cadeaux tranquillement. Quand tu vas revenir vendredi soir, nous verrons s’il est passé…
– Oui! Tu crois qu’il va venir? On n’a rien oublié?
– Rien!

Dans la voiture, il me taquine:
– Ze vais garder Pomme avec moi!
– Ah non! Elle rentre avec moi!
– Mais elle sera pas triste!
– Mais moi si!

Il serre mon bichon à moitié exsangue dans ses bras et le couvre de questions:
– Pomme, tu sais conduire? Pomme, tu veux rester avec moi? Pomme, tu veux un socolat? Pomme, tu veux un zouet? Tu veux zouer dans la neize avec moi? Pomme… Pomme… Pomme…

Cette fois, la séparation n’est pas triste.
Il sait que vendredi, nous serons tous ensemble.

Martine Bernier

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