Albert Wynne était un respectable gentleman qui vivait en Angleterre au XIXe siècle.
Son nom vous est inconnu?
Pourtant, vous connaissez ce qu’il a inventé…
Albert avait un dada: les mots carrés aussi connus sous le nom de carrés magiques.
L’occupation consiste à intégrer des mots valides dans un carré, mots pouvant être lus horizontalement et verticalement.
Mister Wynne s’adonnait donc à son hobby lorsqu’un jour, sapristi, il cala.
Impossible de terminer sa grille.
Et c’est là qu’il eut une idée de génie: il intercala une case noire.
Comment cela, banal?
Non, non: Albert venait d’inventer les mots croisés.
La case noire était aux mots croisés ce que le zéro avait été aux mathématiques.
La wonderful idée de Mister Wynne ne le rendit pas franchement célèbre pour autant.
Mais en 1913, le jeu d’esprit accompagna les émigrants partis d’Angleterre à la conquête du Nouveau Monde.
Le 21 décembre de la même année, le « New York World » publia la première grille dans son supplément du dimanche.
Et… le nouveau jeu fit un tabac.
Les Anglais redécouvrirent à leur tour les mots croisés nantis de la bénédiction yankee, et l’Europe entière se passionna pour les crossed words.
En France, ils apparurent en 1925 dans le journal « Le Gaulois », sous le nom de « mots en croix ».
Et comme les Français ne manquent pas d’imagination, dans les années 30, ils appelaient « Oedipe » ceux qui cherchaient à résoudre les problèmes de mots croisés, et « Sphinx » ceux qui en étaient les auteurs.
Aujourd’hui, les mots croisés sont toujours populaires.
Et les cruciverbistes possèdent tous un indéniable bagage culturel.
Tous savent que le Nil coule en Egypte sous un soleil appelé Râ, que les fleuves qui descendent le plus volontiers sont le Po ou l’Ob, que l’ers est une légumineuse pour laquelle Esaü vendit son droit d’aînesse.
Ils n’ignorent pas que les architectes ne sortent pas sans leur té, que le poète compose des odes, que le joueur de golf utilise un tee alors que l’as des échecs met son adversaire mat ou pat.
Le ciel du cruciverbiste est peuplé de dieux, de déesses et de nymphes, comme Gê, Eole, Esus, Isis, Iris, Eros, Ino ou Io.
Il connaît bien Ader, Sue, Say, Huc, Batz, Daru, Auer, Sem, Rip et bien d’autres.
Il sait compter l’argent dans toutes les monnaies du monde, parlant de l’as romain, des écus, des sous, sol, yen ou sen, leu.
Le pire dans tout cela, c’est que ce bon Albert n’a pas dû penser à faire breveter son idée…
Martine Bernier