J’étais plongée dans un article lorsque la sonnette de la porte d’entrée a retenti.
En ouvrant la porte, je me suis retrouvée devant un enfant, pas encore complètement adolescent, mais plus garçonnet.
Il portait des lunettes, un appareil dentaire, une pochette minuscule et une petite boîte.
Visiblement, si j’en crois son regard gêné et son manque d’assurance, sonner aux portes n’était pas son occupation favorite.
Je l’ai regardé et je lui ai dit bonjour.
Notre conversation a été un brin surréaliste.
Il m’a jeté un coup d’oeil et n’a rien trouvé de mieux à dire que: « Ah… »
– Qu’est-ce que je peux faire pour toi?
– Heu… je vends les timbres de Pro Patria…
Il m’a montré un petit carnet de timbres sur lesquels étaient imprimées des photos de bateaux.
Pas très à l’aise dans son rôle de petit vendeur, il a ajouté:
– Bon, c’est sans doute trop cher…
J’ai regardé le prix: 14,5 francs pour la pochette.
Où que je sois, les enfants savent que lorsqu’ils se présentent devant moi pour une vente collective, je suis toujours d’accord, pourvu qu’ils soient polis.
– Attends, je vais chercher des sous et je reviens!
En revenant, il avait toujours cet air mal dans sa peau, mal dans son rôle.
En lui donnant son argent, je lui ai dit:
– Tu sais, je trouve que tu as beaucoup de courage pour faire ce que tu fais.
– Moi?
– Oui, toi! Quand j’avais ton âge, je n’aurais jamais osé sonner aux portes pour vendre quelque chose. Et je crois bien que je ne pourrais toujours pas le faire aujourd’hui! Donc, je t’admire!
Il m’a décoché un sourire lumineux:
– Oh, vous savez, il faut juste savoir expliquer pourquoi on est là et ce qu’on vend.
– Tu es toujours bien reçu?
– Ah non, pas toujours. Ca, c’est dur.
– Je comprends!
Mis en confiance par notre conversation, il a ouvert le carnet de timbres pour mieux me les montrer:
– Vous voyez, il y en a à 85 centimes, et à un francs. Vous pouvez choisir: ou vous les collectionnez, ou vous les utilisez pour votre courrier.
– Epatant, je n’aurai pas besoin de passer à la poste pour en racheter! Très pratique, ton service à domicile! Tu reviens quand tu veux!
De plus en plus souriant, il n’avait plus du tout envie de poursuivre sa tournée:
– Moi je veux bien, mais on n’en vend qu’une fois par an!
– Alors tant pis… j’attendrai l’an prochain! J’espère que ta tournée va bien se passer et que tu pourras vendre tous tes carnets.
– J’en ai encore cinq…
Nous nous sommes dit au-revoir.
Alors que je tournais les talons, il s’est retourné tandis qu’il était déjà dans l’escalier:
– Vous vous souvenez que j’étais déjà venu l’année passée? Vous veniez d’arriver, vous n’aviez pas fini de déménager.
– C’était toi? Oui, je me souviens d’avoir acheté des timbres à un enfant, mais, excuse-moi, je n’ai pas une très bonne mémoire des visages…
– C’est pas grave. En tout cas, si je refais la tournée l’année prochaine, je reviendrai vous voir si le prof veut bien me redonner le quartier!
– Ca me fera plaisir! Et tu sais, tu n’as pas besoin de vendre des timbres pour venir me dire bonjour si tu en as envie!
Il avait le pas léger et un air ravi en repartant.
Et moi, je suis rentrée en me disant que les timbres, décidément, apportent de jolies rencontres.
Martine Bernier