La conversation de Kim

Ce dimanche était jour de fête: la Tribu fêtait les anniversaires de Jee, notre Fleur d’Asie, et de Kim, son petit garçon devenu le petit prince de la famille.
Comme nous aimons le faire, mon Capitaine et moi recevons tout le monde chez nous.
Et, chaleur oblige, nous avions préparé un buffet auquel, selon une tradition désormais bien établie, chacun participe en apportant sa contribution.
Résultat des courses, le buffet en question pourrait nourrir un régiment!

Comme à chaque fois, je suis émue de l’ambiance de nos réunions de famille, au cours desquelles chacun s’exprime, écoute, rit, plaisante, où personne ne coupe la parole à l’autre.
Il s’y dit de belles choses, les personnalités se livrent, l’ambiance est chaleureuse.

Je n’avais plus vu Kim depuis plusieurs semaines.
Nous retrouvions un petit bonhomme plus beau que jamais avec ses grands yeux foncés, son regard profond, ses traits fins, et ce charme si particulier qui n’appartient qu’à lui.
Très vite, nous avons repris nos habitudes: je m’installe dans un fauteuil aux larges accoudoirs, et il vient se percher à côté de moi.
Dans ce fauteuil, nous passons des heures et des heures ensemble.
Nous y jouons, y lisons des tonnes de livres, discutons, nous confions nos secrets, racontons des bêtises, divaguons…

Cette fois encore, j’ai pu constater à quel point il évolue rapidement.
Nous fêtions avec retard ses 6 ans et l’anniversaire de sa maman.
6 ans…
A la rentrée, Kim rentrera en primaire, prendra le chemin des grands.
Il avait beaucoup de choses à me raconter.
Dans l’après-midi, l’un d’entre nous a demandé: « Maman? Tu ne ressortirais pas le jeu des questions? »
J’ai donc été chercher le fameux jeu, posant des questions personnelles auxquelles chacun répond avec plus ou moins de sérieux, Kim y compris.

L’une d’elles demandait: « Que ferais-tu si, pendant 24 heures, tu pouvais être invisible? »
Avec un large sourire, Kim a fait une réponse à laquelle il fallait s’attendre vu la formulation de la question: « J’irais dans un grand magasin et je volerais tous les jouets du monde. »
Il y a eu quelques échanges de regards consternés, et, aussitôt, des réactions normales: « Oh, Kim, non! Ce n’est pas bien de voler! Tu irais un prison! »
Kim n’a pas osé ajouté qu’il ne serait pas pris puisqu’il serait invisible!
J’ai transformé la question en disant: « C’est une mauvaise question: elle devrait demander ce que tu ferais si tu pouvais réaliser un voeu durant la journée. »

La conversation a repris.
Un peu plus tard, Kim, revenu sur son perchoir, m’a dit:

– Tu sais, je ne voulais pas les voler, les jouets.
– Oui, je sais. Tu aimerais juste pouvoir jouer avec tous les jouets possibles et ne pas devoir les rendre ensuite!
– Oui, c’est ça.

Nous avons continué à parler jouets et il m’a confié avoir reçu une arme de son papa.
Sa maman et mon fils l’ont mise hors de portée, ce qui ne lui plaît pas, il fallait qu’il m’en parle.

– … pourtant, je ne fais rien de mal!
– Tu sais, moi non plus je ne laissais pas Yann et Sébastien jouer avec des armes quand ils étaient petits.  Ca, tu vois, c’est quelque chose que tu ne recevras jamais de moi.
– Pourquoi?
– Parce que pour moi, ce ne sont pas des jouets, même si elles sont en plastiques.
– Pourtant, on peut jouer avec.
– Oui… mais c’est quelque chose que je n’aime pas. Dans la vraie vie, elles servent à faire du mal, tu comprends. 
– Oui, c’est vrai. Mais… et les jeux où on tire sur des choses, alors?

Il m’avait montré peu de temps auparavant un jeu téléchargé sur un téléphone,  où il représentait le camp des oiseaux tirant sur des cochons.
– Et bien… je n’aime pas non plus les jeux où il faut tirer.
– Pourquoi? 
– Parce que ces jeux donnent parfois envie à des gens de tirer sur d’autres vrais gens en oubliant qu’ils ne sont pas dans un jeu.

Kim réfléchit.

– Oui, mais moi, je ne tire pas sur des gens: je tire sur des cochons.
– Je sais… mais je n’aime quand même pas.
– Ah… tu aimes les cochons? Je comprends. Mais je ne leur fais pas mal!

Après notre longue conversation, tandis qu’une partie de la famille rejoignait ses quartiers, il est allé puiser dans la bibliothèque qui lui est réservée et que mon Capitaine et moi alimentons régulièrement.
J’aime contribuer à lui donner le goût des livres.
Dinosaures, chevaliers, châteaux-fort, pirates, exercices amusants… il y retrouve tous les sujets qui l’intéressent.
Le premier des ouvrages qu’il a ramené comme un trésor dans notre fauteuil-cabane était un livre sur les naufrages.
Un bouquin magnifique, agrémenté de  petites portes et fenêtres ludiques, de maquettes de bateaux en papier dur s’ouvrant lorsque les pages du livre se tournent.
Nous l’avons déjà consulté ensemble, mais j’adapte mon récit à son âge, son attente et son humeur du moment.
Cette fois, il voulait en savoir plus.
Nous avons discuté du Titanic, nous attardant longuement sur les icebergs, puis nous sommes arrivés sur le naufrage de la Méduse.
Ce livre pour enfants a le don d’aborder les épisodes dramatiques sans paniquer les petits lecteurs.
Kim était extrêmement attentif aux détails de l’histoire, aux illustrations.
– … et après, le capitaine a coupé la corde qui permettait à la chaloupe de tirer le radeau. Il a continué et a laissé les naufragés en pleine mer.
– Il l’a coupée avec un couteau?
– Oui, comme tu vois sur l’image, là.
– Et après?
– Ils était 152 sur le radeau… Ils sont restés plusieurs jours là, sans rien avoir à manger ni à boire, et sur un radeau trop petit pour tout ce monde.

Il continue à me questionner, je réponds en évitant les détails trop sordides.

– On les a sauvés?
– Quand le bateau qui les a secourus est arrivé, il n’en restait plus que 15 vivants. Et cinq d’entre eux sont morts après avoir été récupérés.

Il réfléchit, revient sur certains points, très attentif.
Un peu plus tard, sa maman se joint à nous et Kim lui montre le livre.
Et je l’entends expliquer:
– C’était un mauvais capitaine. Il est parti dans une des chaloupes, et il a coupé la corde du radeau. Tu vois, c’était petit,  mais ils étaient 152 dessus. Il n’en restait plus que 15 quand on est venu les chercher et cinq sont encore morts après.

J’échange un regard complice avec Jee.
Ces moments-là sont essentiels.
Kim se construit des souvenirs… et nous aussi.

 Martine Bernier

par

1 réflexion sur “La conversation de Kim”

  1. Jolie l’histoire de KIM,cet enfant est très intelligent,il a des réponses pertinentes,c’est dejà un petit genie !!!!!
    Bonne journée,bisous à tous.

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