La coulpe

Dans l’école catholique que je fréquentais enfant et adolescente, il était de tradition de devoir se rendre à confesse une fois par semaine.
C’était pour moi comme pour les autres un passage obligé qui représentait une corvée magistrale.
Jusqu’au jour où est arrivé le Père Poncelet, illico surnommé « Pompon » par les environ 300 filles que nous étions.
Le nouveau gardien de nos âmes venait de  France, je crois, devait avoir une petite quarantaine d’années, un visage rappelant celui de Daniel Auteuil, et un sourire plein de bonne humeur.
Tout le monde l’aimait beaucoup, il était moderne et avait l’esprit ouvert.
Tellement ouvert qu’un matin, plein d’enthousiasme, il nous attendait dans notre classe au moment du cours de religion donné par la religieuse que je préférais, rebaptisée Lulu par nos soins.
La classe avait été transformée : nos tables avaient été poussées dans un coin et le reste de la pièce était occupé par nos chaises, placées en un grand cercle.
J’avais environ 14 ans, j’étais plutôt calme en classe, mais j’avais la réputation de réagir lorsque quelque chose me paraissait injuste ou anormal.
Ce matin-là, lorsque nous avons toutes été assises, le Père Poncelet nous a annoncé:
– J’ai écouté vos doléances et je vais en tenir compte: à partir d’aujourd’hui, il n’y aura plus de passage au confessionnal!

Une grande exclamation enthousiaste a salué sa déclaration.
Il en a profité pour rajouter:
– Dorénavant, tous ensemble, nous allons battre notre coulpe!

Pardon?
Battre notre coulpe?
Késako?
Cela ne présageait rien de bon…
Devant nos mines intriguées, Pompon a rajouté:
– Nous allons commencer tout de suite!  Chacune à votre tour, vous allez confier ce que vous avez fait de mal dans la semaine, puis je vous donnerai l’absolution générale après que nous ayons fait une prière.

Pardon?
Confier en public nos bêtises d’adolescentes ou nos « pensées impures »?
Pas question.
J’ai écouté mes camarades s’exécuter sous l’oeil bienveillant de nos deux protecteurs.
Lorsque mon tour est arrivé, j’ai demandé si je pouvais passer mon tour.
Pompon a souri:
– Allons ce n’est pas un jeu. Tu ne vas pas me dire que tu n’as pas fait la moindre  chose répréhensible pendant la semaine?
– Pas vraiment, non.
– Ce n’est pas possible… tu serais une sainte!
– Et vous, mon Père, puisque vous faites partie du cercle et que vous avez dit que nous allions battre notre coulpe ensemble, pourquoi avez-vous passé votre tour sans rien dire?

Les filles ont ri, certaines étaient gênées, et Lulu, qui m’aimait bien, a dit à notre curé:
– Ah ça, je l’aurais parié! Je vous  avais dit qu’avec elle ce ne serait pas du tout cuit!

Bon joueur, Pompon m’a dit: « si tu veux, nous en parlons à la fin de l’heure », et il a terminé la coulpe.
A la fin du cours coulpe, il m’a retenue comme prévu:
– Voyons… pourquoi n’as-tu rien dit?
– Parce que je n’avais rien à dire. Et que même si j’avais eu quelque chose sur la conscience, je trouve encore plus insupportable de le dire en public qu’au confessionnal.
– Le confessionnal, parlons-en! Tu y as pourtant été chaque semaine, jusqu’ici, avec l’autre curé, et tu lui parlais?
– Oui, oui… une semaine sur deux j’inventais un péché qu’il me pardonnait, et la semaine suivante, je lui disais avoir menti. J’étais tranquille pour 15 jours.

Il était visiblement assez perturbé par ma déclaration:
– Mais enfin, pourquoi fais-tu cela? La confession permet de te laver l’âme et de libérer ta conscience!
– En général, ma toilette, je la fais sans témoin…

Il a ri jaune.
– Et là, tu n’avais vraiment aucune pensée à livrer, qui ne t’aurait pas mise mal à l’aise?

J’ai réfléchi:
– J’aurais bien eu envie de dire que j’avais une grande envie de vous envoyer sur les roses, mais je ne sais pas si cela compte?

Lulu est intervenue:
– Bon, Martine, ça va, on a compris: tu n’aimes pas la coulpe et tu n’aimes pas la confession. Il va pourtant bien falloir trouver une solution.

Pompon a réfléchi et a dit:
– J’ai une idée: si tu veux, chaque semaine, tu arriveras une demi-heure minutes avant les autres au cours, je te reçois seule en face à face, en présence de Soeur Lucie-Agnès et  nous parlons comme maintenant. Si tu as quelque chose dont tu veux te débarrasser, tu le fais. Si tu n’as rien, on parle d’autre chose. D’accord?

J’ai accepté le marché et, durant la période passée par le Père Poncelet à l’école, j’ai passé du temps avec lui en tête-à-tête, pendant que Lulu corrigeait des copies.
J’ai découvert un homme sympathique et drôle, prêt à discuter de chaque question que je lui posais, chaque remarque que je lui faisais.
Des questions et des remarques, j’en avais… la religion et ses rites me rebellaient déjà.
Il  a joué le jeu et j’ai apprécié ces courts débats philosophiques.
Puis Pompon est parti.
Mais il a laissé des consignes: j’ai été dispensée de confessionnal obligatoire!

Martine Bernier

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