Un soir, en rentrant de son travail, mon père est rentré à la maison avec un disque à la main.
Il a demandé:
– Qui veut l’écouter avec moi?
Maman préparait le souper, mon frère aîné vaquait à ses occupations d’ado, mon cadet était trop petit pour fixer son attention bien longtemps sur quelque chose.
J’ai donc été me nicher sur l’accoudoir du fauteuil de mon père qui venait de poser son 33 tours sur la platine et s’était installé.
A six ou sept ans, je rentrais pour la première fois dans le monde enchanté de « Pierre et le Loup », de Prokofieff.
Et pas n’importe quelle version: celle-ci était lue par Jacques Brel.
J’ai été subjuguée par ce conte musical où les personnages et les animaux étaient représentés par des instruments merveilleusement choisis.
La flûte traversière pour l’oiseau, les cordes pour le petit Pierre, le hautbois pour le canard, les cors pour le loup, le basson pour le grand-père…
J’étais totalement happée par cet univers, profitant à la fois du l’histoire, de la musique et des petits commentaires de mon père.
Ma première écoute a été un ravissement…
Quand la dernière note s’est éteinte, j’ai regardé mon père.
Il était visiblement ravi de l’effet que le disque avait eu sur moi.
Je n’avais qu’une envie: l’écouter encore.
Papa a retourné le disque pour que nous puissions entendre la deuxième face.
Je l’ai moins aimée: elle racontait l’histoire de Babar avec lequel je n’avais pas d’affinité.
Plusieurs fois par la suite, j’ai réécouté « Pierre et Le Loup », toujours avec mon père.
Il a renouvelé cette expérience de découverte musicale en me faisant entrer avec lui dans le monde d’un grand orchestre à travers « Piccolo, Saxo et Compagnie » d’André Pop, lu par le délicieux François Périer.
Quelques années après sa mort, en classe de musique, notre professeur, Mme Schdanoff a demandé qui connaissait Prokofieff.
J’ai levé la main.
Elle s’est approchée et m’a demandé ce que j’avais entendu de lui.
J’ai parlé de « Pierre et le Loup ».
Elle m’a demandé d’en raconter l’histoire.
Je connaissais les détails par coeur, cela n’a pas été compliqué…
Les cours suivants, elle a réalisé que j’avais été initiée aux grandes oeuvres classiques de Mozart, Beethoven, Vivaldi, Bach…
Avec son accent vigoureux, elle m’a demandé qui m’avait fait découvrir cette musique, et j’ai répondu.
Avec son accent russe à couper au couteau, elle m’a dit:
– Votrrrre pèrrrre est un homme intelligent. J’aimerrrrrais beaucoup pouvoirrrrr le lui dirrrre!
– Moi aussi.
J’ai commencé à comprendre ce jour-là que les heures passées par mon père à m’expliquer et à me faire découvrir les choses étaient autant de graines qui allaient germer et m’aider tout au long du chemin.
Aujourd’hui, je pense racheter « Pierre et le Loup » et le faire découvrir à Kim, puis à son petit frère à venir, puis aux autres enfants qui viendront agrandir la famille…
Martine Bernier
2 réflexions sur “Le disque enchanté”
J’ai encore ce 33 tours de Pierre et le Loup mais raconté par Gérard Philippe. Et sans doute la version de Jacques Brel sur une cassette vidéo.
Moi aussi j’ai été élevé avec ces disques qui nous racontaient la vie de tous ces grands compositeurs.
Que de beaux souvenirs.
Je ne connais pas la version de Gérard Philippe.. Vu la merveille qu’il avait faite dans sa lecture du « Petit Prince », je me dis que ce doit être magnifique… Oui, comme tu le dis… que de beaux souvenirs!