Il était tard quand le téléphone a sonné.
En décrochant, j’ai entendu une voix féminine prononcer:
– Martine? C’est Marie-Christine.
Un petit silence.
Je n’ai pas une mémoire des noms extraordinaires et je rencontre pas mal de personnes, ce qui brouille un peu les cartes.
La voix, que je ne reconnaissais pas, a continué:
– Je ne sais pas si tu te souviens de moi. Nous étions ensemble à l’école quand nous avions 13 ou 14 ans.
Il y avait deux Marie-Christine dans ma vie à l’époque.
L’une était une jeune fille adorable, dont la beauté, la finesse et la douceur faisaient chavirer le coeur de tous les garçons qu’elle croisait.
J’ai encore sa voix au fond de la mémoire: ce ne pouvait pas être elle.
L’autre était son opposé.
Grande et solide, elle venait d’une famille aisée, se comportait en chef de gang et méprisait les filles qui n’étaient pas de son milieu.
Dont moi.
– Marie-Christine???
– Oui, je sais, c’est bizarre.
Ce n’étais pas bizarre, non, c’était inconcevable.
J’était complètement ahurie.
Je lui ai demandé des précisions, histoire d’être sûre qu’il s’agissait bien d’elle.
– Oui, c’est ça, c’est moi. J’étais horrible, à l’époque, hein?
J’ai prudemment répondu:
– Il y a prescription. Que puis-je faire pour toi?
Et là… elle m’a expliqué qu’elle me recherchait depuis des années.
Moi!?
Alors que nous n’avions jamais été proches l’une de l’autre…
Elle m’a raconté le mal qu’elle avait eu à me trouver, ce qui ne m’a pas étonnée: ma vie n’a jamais été un long fleuve tranquille, ce qui a dû brouiller les pistes.
– … et puis j’ai trouvé le nom que tu portes aujourd’hui et j’ai fait des recherches. Je sais que tu es journaliste. C’est comme cela que je suis tombée sur ton site que je lis tous les jours depuis des semaines. Tu as eu un sacré cran pour arriver où tu en es.
Je ne sais pas quoi dire.
Elle a poursuivi, me disant combien elle était estomaquée de voir ce que j’avais fait de ma vie alors que je partais avec des pénalités de départ plutôt handicapantes.
– Personne n’aurait misé un sou sur toi!
– Je sais. Et toi, qu’as-tu fait de ta vie? Que deviens-tu?
– Rien.
Sa réponse m’a sidérée.
Elle avait ce qu’il fallait pour suivre de bonnes études, portée par des parents attentifs à l’avenir et au bien-être de leur fille unique qu’ils gâtaient outrageusement.
Elle a développé.
– Mes parents m’agaçaient, j’ai fait tout le contraire de ce qu’ils voulaient. Je me suis mariée à 19 ans, avec un homme qui avait un bon métier, et j’ai eu trois enfants.
– Félicitations…
– Oui, enfin… si tu veux. Ils ne sont pas… enfin… pas comme j’espérais.
J’étais mal à l’aise.
Elle a continué:
– Quand ils ont quitté la maison, j’ai réalisé que je n’avais rien fait de ma vie. C’est le moment qu’a choisi mon mari pour me quitter. Il paraît qu’il attendait ça depuis longtemps. Je me suis retrouvée toute seule. Les enfants viennent peu me voir, mes parents sont morts, je n’ai pas une amie et je n’ai pas d’emploi.
– Tu arrives à t’en sortir?
– Mes parents m’ont laissé un petit héritage.
Je ne comprenais toujours pas la raison de son appel et je le lui ai dis.
Elle a répondu ceci:
– J’ai 54 ans et j’ai tout raté. Il y a quelques mois, j’ai cherché à retrouver nos anciennes copines de classe, à savoir ce qu’elles sont devenues. j’en ai revu certaines. Tu es la dernière que je contacte. Et bien tu sais… tu es celle qui a la vie la plus étonnante, la plus passionnante.
– …
– En découvrant ton Ecriplume, j’ai lu des textes que tu as écrit sur « Hier ». A l’époque, tu ne parlais pas de ce que tu vivais, je n’ai rien compris.
– C’est du passé, n’y pense plus.
– Je voulais simplement que tu saches que j’aurais bien aimé être comme toi. Et que quand je te lis, ça me fait du bien et j’ai envie de faire quelque chose de mes jours.
– C’est gentil… C’est vraiment ce que je te souhaite…
Au bout de quelques minutes, j’ai raccroché.
Mais avant, elle m’a dit:
– Tu as envie de parler de moi sur Ecriplume?
– Je ne sais pas, c’est très personnel… tu voudrais?
– Oui. Cela me donnera du courage…
L’adolescente, puis la jeune femme trop gâtée qu’elle a été a cédé la place à une femme différente.
Au fils des années et des événements, la vie s’est chargée, comme elle le fait avec chacun de nous, de lui apprendre certaines leçons.
Aujourd’hui, elle est au bord d’un nouveau chemin, portée par d’autres motivations.
C’est ce que je lui souhaite, en espérant qu’un jour, un deuxième coup de fil m’apprendra qu’elle vit la période la plus passionnante de son existence.
Martine Bernier