J’avais cinq ou six ans quand mon père m’a fait un cadeau à mes yeux magnifique.
Nous étions partis en famille à la fête foraine et, avant de la quitter, il a proposé à chacun de ses trois enfants de choisir quelque chose qui leur ferait plaisir.
Je n’ai pas opté pour une pomme d’amour ou une barbe à papa comme mes frères.
Moi, mon rêve, c’était… un ballon.
Mon père m’a emmenée auprès du marchand de ballons qui les tenaient attachés à un long bâton.
Il y en avait de toutes les formes, représentant des visages ou des objets.
Et au milieu d’eux se trouvait mon bonheur: un ballon bleu en forme de chenille.
Le vendeur me l’a attaché par une longue ficelle au poignet et nous sommes rentrés à la maison.
Pendant tout le reste de la journée, j’ai joué avec mon ballon, le maniant avec précaution.
Contrairement à la photo ci-dessus, ma chenille avait de grands yeux aux longs cils qui lui donnaient un aspect romantique.
Lorsque le soir est arrivé, il n’était pas question pour moi de laisser ma chenille dormir au plafond.
J’ai vidé le petit lit de poupées de ses habitants, et j’ai posé la chenille entre les draps, délicatement.
Lorsque mon père est monté m’embrasser, il a tenté de me mettre en garde:
– Tu sais, demain matin, ton ballon n’aura peut-être plus tout à fait la même forme…
Mais je n’ai pas été impressionnée et je me suis endormie, ravie de mon cadeau.
Le lendemain matin, je me suis ruée vers le petit lit de poupée et là… une surprise m’attendait.
Le long ballon de la veille avait fait place à un petit bout de caoutchouc bleu tout flétri.
Ma chenille était morte, dégonflée pendant la nuit!
Nous étions dimanche matin, j’ai couru chercher mon père dans son lit pour qu’il découvre le drame qui se jouait dans la chambre.
Il s’est accroupi à côté du petit lit, a pris le ballon entre ses doigts et m’a dit: « je vais essayer de le regonfler ».
Ce qu’il a fait.
Mais cette fois, la chenille ne volait plus.
J’était triste et il le voyait.
Il m’a alors pris la main et m’a dit:
– Tu es triste parce que tu ne sais pas ce qui s’est passé… Pendant que tu dormais, ta chenille s’est transformée en un magnifique papillon qui s’est envolé par la fenêtre. Et je pense que, comme tu t’en es très bien occupé, il était encore plus beau que les autres! C’est pour cela que, pour te remercier, il t’a laissé la chenille pour que je puisse la regonfler et que tu puisses encore jouer avec elle pendant que lui est parti découvrir le monde.
Dans la journée, il m’a montré dans un livre d’images comment les chenilles devenaient papillon.
Et j’ai su qu’il ne mentait pas: ma chenille avait vraiment donné naissance à un papillon somptueux qui a longtemps nourri mes rêves d’enfants.
Aujourd’hui encore, quand je vois un papillon, je cherche aux alentours si, par hasard, je ne pourrais pas découvrir un fabuleux papillon bleu…
Martine Bernier