Lorsque j’étais enfant, notre maison était située sur une chaussée sans charme où passaient déjà à l’époque un nombre impressionnant de voitures.
Mais dès que je tournais le coin de la rue qui me menait à l’école, je passais par une petite rue que j’aimais beaucoup.
Ses petites maisons bien entretenues, serrées les unes contre les autres, et la présence d’arbres plantés à intervalles réguliers le long du trottoir n’étaient pas étrangères à son charme.
Je connaissais (mal) certains des habitants de cette rue dans laquelle j’ai vécu quelques épisodes marquants.
Mais ceux que je préférais étaient un monsieur et son fils.
Je ne me souviens pas de l’épouse de ce monsieur qui, alors que j’avais 10 ou 12 ans, devait avoir atteint la soixantaine.
Il était toujours coquet, portait une couronne de cheveux blancs sur son crâne dégarni, et avait un sourire d’une bonté inoubliable.
Il avait toujours un petit mot gentil lorsque je passais devant chez lui.
Il n’était pas seul dans sa maison.
Je crois qu’il avait une fille, mais, surtout… il y avait Georges et Patate.
Georges, son fils, était un grand gaillard au physique de rugbyman.
Je le trouvais magnifique.
Il avait les cheveux roux, un petit sourire amusé qui contredisait son air sérieux.
Il ne parlait pas beaucoup… en tout cas pas aux gamines qui passaient devant sa porte, se contentant d’envoyer un bonjour accompagné d’un petit sourire.
Son comportement et sa manière de s’habiller, dans le style « gentleman-farmer », le rendaient rassurant.
Il devait avoir entre 25 et 30 ans, et, si je le voyais de temps en temps, je ne sais pas s’il habitait toujours chez ses parents.
Cette famille attachante avait un chien, Patate.
C’était une sorte de braque blanc avec de grandes taches brunes.
Un chien de chasse… même si je ne suis pas convaincue que nos voisins étaient chasseurs.
Patate était extrêmement sympathique, très turbulent et… avait la fâcheuse tendance à s’agripper à la jambe des visiteurs, surtout s’ils étaient des enfants.
Ses maîtres expliquaient aux écoliers qu’il ne fallait surtout pas s’enfuir en courant devant lui car cela l’exciterait plus encore et qu’il aurait alors tendance à filer à leur poursuite.
Lorsque je passais dans la rue, si la porte de la maison s’ouvrait , je savais que Patate allait débouler sur le trottoir, me faire une fête à n’en plus finir… mais qu’il risquait aussi de se comporter de manière détestable.
Malgré cela, j’aimais bien ce chien un peu fou et très mal élevé.
Quand il s’approchait, je lui murmurais bêtement: « Salut, Patate! Tu as la frite? »
Idiot, je sais.
Mais cela nous faisait rire, lui et moi.
Par contre, lorsqu’il me faisait la cour à sa façon, je lançais un regard implorant à Monsieur Papa.
Lorsqu’il était seul, il intervenait en se répandant en excuses.
Mais lorsque Georges était là, il l’appelait:
– Georges, viens faire obéir ton chien!
Car le vrai patron de Patate, c’était lui, et cela se voyait.
Il apparaissait sur le pas de la porte, et claironnait sans hurler:
– Patate! Couché!
En une demi-seconde, le grossier personnage s’aplatissait sur le sol et ne bougeait plus.
Georges, mon sauveur!
Un matin, alors que je passais pour aller à l’école, Patate s’est rué vers moi en faisant des bonds de cabri en délire, me gratifiant de larges coups de langue enthousiastes… et terminant son manège dans sa posture favorite.
Ce jour-là, je n’étais pas décidée à me laisser faire.
J’ai essayé d’imiter la voix de son maître, grosse et posée, et j’ai lancé:
– Patate! Couché!
Il a eu l’air complètement surpris.
Un peu hésitant, il m’a lâchée et j’ai répété mon ordre sur le même ton.
Et là, j’ai eu la surprise de voir cet énorme chien se coucher à mes pieds.
J’étais émerveillée.
Surtout lorsque j’ai réalisé que Georges, appuyé sur l’encadrement de la porte, me regardait d’un air admiratif.
– Bravo!
Mince..
Georges m’avait parlé!
Et pour me complimenter!
Ce fut un moment inoubliable…
Martine Bernier