Je suis ce que l’on appelle une gauchère « corrigée ».
Pas contrariée, non: pire!
Corrigée… le mot est rude.
A l’époque où je suis entrée à l’école, les gauchers étaient mal tolérés en classe.
Il était alors de bon ton de les remettre dans le « droit chemin » au plus vite
Comme je suis entrée à l’école à 2 ans 1/2, les professeurs ont eu tout loisir de me canaliser.
A chaque fois que je faisais mine d’utiliser ma main gauche, j’étais reprise.
N’allez pas imaginer que les enseignantes étaient toutes des madame Mac Miche en puissance, non.
Elles étaient fermes sans être sadiques, convaincues qu’elles agissaient pour notre bien.
Mon écriture m’a valu des remarques bien senties, ressemblant plus à des pattes de mouche qu’à autre chose.
Mais au moins, j’étais « dans le bon sens ».
En tout cas, c’est l’impression que je donnais.
J’écrivais de la « bonne main », je lisais à l’endroit, mais ma tête était loin d’être aussi bien rangée.
Il y régnait un gigantesque chaos qui n’est toujours pas très ordonné aujourd’hui.
Par exemple j’avais sans arrêt le réflexe de tourner les clés à l’envers dans une serrure pour ouvrir une porte, il me fallait réfléchir quelques secondes pour repérer la gauche de la droite (« enfin, Martine, c’est pourtant simple: la droite, c’est la bonne main »), et je vous épargne un laïus sur mon sens de l’orientation qui est décidément très… spécial.
Aujourd’hui, je suis incapable d’écrire de la main gauche, mais elle intervient sans même que je la sollicite consciemment dans de petites tâches ou des gestes réflexes.
Un exemple?
Décider ce week-end de créer une petite bourse en tissu avec fermoir n’avait rien d’anodin.
Je savais que je me lançais là dans une tâche digne des 12 travaux d’Hercule, le point le plus compliqué pour moi étant de créer un patron.
Je sais, ça a l’air bête, mais ce qui passerait pour un détail pour n’importe qui relève pour moi de la mission impossible.
J’ai commencé par prendre exemple sur des patrons trouvés dans des livres et sur la Toile.
Et c’est là que, comme souvent dans ce genre de situation, j’ai appelé mon Capitaine au secours.
– Dis, tu veux bien me donner un conseil?
Il est venu dans mon bureau et je lui ai montré les plans en question.
– Je ne comprends pas bien… ce bout-là, il va là?
– Non, il va là.
Devant mon air déconfit, il a pris une feuille, un stylo et a redessiné sommairement chaque pièce, leur a attribué à chacune une lettre, et a terminé son dessin par une équation: la dernière pièce étant x= 2 fois (a+b).
Les équations me parlent plus que les formes.
Je suis donc allée mesurer, dessiner et découper mon patron sur papier avant de refaire la même chose avec un vieux morceau de tissu, histoire de voir si j’avais une chance d’obtenir un résultat cohérent.
Miracle: l’essai a été réussi.
Mais j’avais dû faire un tel effort pour y arriver que j’étais plus fatiguée que si j’avais écrit trente articles d’affilé!
J’ai donc décidé de me remettre au travail le week-end prochain, cette fois pour la phase finale
Avec la bénédiction de mon Capitaine que mon souci de représentation dans l’espace ne semble pas préoccuper outre mesure!
Je me demande… si je n’avais pas été « corrigée » étant enfant, connaitrais-je le même problème?
Martine Bernier