Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais pour ma part, je m’inquiète.
Un peu partout dans le monde, la démocratie semble vaciller.
Elle tient debout sur des jambes fragiles…
Les discours extrêmes se banalisent, la confiance dans les institutions s’effrite, et il devient difficile de ne pas ressentir une montée du rejet de l’autre, du repli sur soi, de la violence politique.
Même les mots perdent de leur sens.
Le mot « démocratie » est toujours utilisé, mais s’agit-il encore de la même chose?
Et puis, l’autre jour, un nom un peu oublié a refait surface: Clisthène.
Son nom figurait dans nos souvenirs d’école, comme un écho lointain, sans que son importance ait réellement été comprise à l’époque, du moins par l’ado que j’étais.
Pourtant, ce qu’il a accompli à Athènes il y a plus de 2 500 ans reste très actuel.
Clisthène vivait dans à époque où la Grèce ne connaissait pas encore la démocratie, même si certaines pratiques s’en rapprochaient.
Une poignée de familles puissantes détenait le pouvoir politique et les citoyens ordinaires n’avaient que très peu de poids dans les décisions publiques.
L’idée même qu’un homme du peuple puisse influencer le destin de la cité paraissait inconcevable.
Mais Athènes traversait alors une période de crise.
Une tyrannie venait de tomber, et il n’existait pas de solution claire pour reconstruire un système juste.
Clisthène, issu lui-même de l’aristocratie, a pris une décision audacieuse.
Plutôt que de consolider le pouvoir de sa classe, il a choisi de redonner la parole au peuple.
Il a commencé par briser les anciens clans, puis a redécoupé la population en unités locales indépendantes des origines familiales.
Il a ensuite réparti les citoyens dans dix tribus composées de manière à éviter les concentrations d’influence et à encourager le brassage. Pour renforcer cette nouvelle organisation, il a mis en place un système de tirage au sort pour désigner les membres du conseil chargé de préparer les lois.
Le principe était simple: empêcher que les mêmes individus détiennent le pouvoir en permanence.
Chaque citoyen devait pouvoir participer, chaque responsabilité devait être soumise au regard de tous, chaque fonction devait rester temporaire et surveillée.
Il ne s’agissait pas d’une démocratie parfaite.
La société athénienne de l’époque excluait les femmes, les esclaves et les étrangers du processus politique.
Mais cette réforme représentait une tentative radicale de créer quelque chose de nouveau: une cité où le pouvoir ne serait plus un privilège réservé à quelques-uns, mais un exercice partagé.
Ce qui me touche aujourd’hui, c’est que Clisthène n’a pas attendu des conditions idéales pour proposer ce changement.
Il a misé sur le mélange des origines, sur la rotation des responsabilités, sur la confiance dans l’intelligence collective.
Aujourd’hui, alors que certains rêvent d’autorité, de silence imposé ou de frontières renforcées, ce souvenir ancien rappelle l’importance de cet acte fondateur.
La démocratie n’est pas un acquis.
Elle représente un choix, un équilibre précaire qu’il faut sans cesse reconstruire.
Elle demande d’accepter la parole de l’autre, de se confronter à la complexité, de douter parfois, sans sombrer dans la peur.
Et dans certains moments, elle a besoin qu’un Clisthène surgisse à nouveau, ou qu’un grand nombre de citoyens ordinaires retrouvent l’élan de ce qu’il a défendu.
Il n’existe pas de réponse toute faite.
Mais en observant ce qui se passe autour de moi, le besoin s’est fait sentir de revenir à la racine, de comprendre l’origine de cette idée de démocratie…