L’esprit d’un petit garçon est captivant.
Celui d’Aurélien n’échappe pas à la règle
Son évolution est rapide et le fait qu’il devienne très réceptif à l’humour, commençant même à le pratiquer lui-même, est pour moi une jolie preuve d’intelligence.
L’humour et l’imagination sont deux des ciments de notre complicité, il m’en a encore donné la preuve hier.
Il est entré dans mon monde avec une facilité extraordinaire.
Aujourd’hui, c’est lui qui me demande de faire parler chaque objet, chaque aliment, chaque jouet.
Il leur répond, ce qui donne lieu à des dialogues de plus en plus savoureux et improbables.
Il a compris que je m’amuse à jouer mille personnages, et se tord de rire dès qu’il pressent que je vais commencer l’un de mes « numéros ».
Chaque soirée passée ensemble est intense: il n’y a pas une seconde de répit, nous sommes constamment en conversation, en jeu.
Et certains me font encore sourire ce matin en y repensant:
Nous sommes chacun devant notre plateau repas.
Papyno, Grand Maître de la Cuisine devant l’Eternel, lui a préparé tout ce qu’il aime réuni dans une belle assiette colorée, et les desserts dont il est friand.
De mon côté: un bol de poisson cru et un yogourt.
Au moment où je prépare la cassonade pour la mettre dans le yaourt, il me regarde, intrigué:
– Qu’est-ce que tu manges, Mamitine?
– Du yogourt à la cassonade!
– Je peux goûter la cassonade?
Le jeu commence: je vais changer de personnage.
– Hum… bon, d’accord…
J’en mets une pointe de couteau sur une cuillère, il la goûte, et me dit poliment:
– Ah oui, c’est bon!
– Seulement bon? Aaaah mais non! C’est délicieux! Le problème, c’est que ce n’est que pour les grands. Normalement les petits enfants n’y ont pas droit. Tu a eu beauuuuucoup de chance!
Je termine ma préparation avec le plus grand sérieux et, toujours sous l’oeil attentif de mon jeune auditoire, je m’apprête à déguster.
Mais je m’interromps, jouant la grande contrariée troublée d’être observée avec autant d’intensité.
Je le regarde et lance le mot qui lui donne immanquablement le fou rire:
– Kwouè?
Pour les non-initiés, le Kwouè veut dire « Quoi? » en langage « Mami-lien » (contraction entre Mamitine et Aurélien).
Ne me demandez pas de vous expliquer: c’est la langue de Coin-Coin, le petit canard inséparable de l’une de nos marionnettes, Jules.
Nous le faisons parler un peu bizarrement et, lorsque je reprends l’un de ses mots dans la conversation, c’est le déclenchement d’un tsunami d’hilarité.
Un quart d’heure plus tard, au cours d’un jeu, je lui pose une question, il me regarde, l’oeil pétillant, et me répond:
– Kwouè?
Il a tout compris!
*******
– J’ai 2 ans et demi!
Il me montre deux doigt, et j’opine:
– C’est vrai!
– Et toi, Mamitine?
Alors là… je ne m’attendais pas du tout à cette question!
Il me faut un moment avant de pouvoir répondre: cela ne fait pas longtemps que j’ai changé de chiffre!
– 58!
Un peu plus tard, il revient sur le sujet:
– C’est beaucoup 58?
– Voui. Beaucoup plus que toi, en tout cas!
Nous jouons avec le tableau à dessins que l’on peut effacer d’un simple geste, une fois terminés.
– Mamitine, tu dessines Pic-Pic?
Je m’exécute: l’abeille Pic-Pic est à peu près le seul dessin reconnaissable que j’arrive à réaliser.
A son tour. Je lui demande:
– Et toi, tu dessines Mamitine?
– D’accord!
Et il exécute une pâtée de traits improbables.
Chic: un nouveau scénario se profile.
Il me regarde en me montrant son oeuvre, guettant ma réaction.
Je prends un air navré:
– C’est moi, ça?
– Oui!
– Mais… c’est une catastrophe!!
Il commence à rire, ravi de son effet:
– C’est Mamitine!
– Non, non, c’est du gribouillis!
– Du gribouillis?
Le mot l’amuse.
– Bon, il va falloir travailler ça! Regarde, on dirait des spaghettis! Je ressemble à un plat de spaghettis, moâ?
– Oui, oui!
C’est décidé: je vais parfaire ma culture en matière d’art abstrait.
Je sens que je vais en avoir besoin…
Martine Bernier