Il y a quatre ou cinq ans, j’étais partie à Grenoble pour rencontrer Pierre Arditi, qui était en tournée pour les besoins d’une pièce.
Certaines rencontres sont plus stressantes que d’autres.
J’avais donc décidé de faire une chose que je ne fais jamais: emporter un enregistreur pour ne pas avoir à prendre de notes durant l’entretien, afin de ne pas en casser le rythme.
La veille au soir, j’équipe l’appareil de piles neuves, le dépose dans la voiture pour être sûre de ne pas l’oublier, et… je passe une nuit blanche.
Le lendemain, nous partons donc pour Grenoble.
Après plusieurs heures de route, nous nous présentons dans le grand hôtel où le rendez-vous a été donné et, après quelques minutes d’attente, je vois arriver l’acteur qui avait accepté plusieurs interviews à la suite.
Le premier contact pris, nous nous installons dans un coin salon, je branche mon appareil et nous commençons à parler.
Au bout de près d’une heure d’entretien, mon regard se pose sur l’appareil…. et je réalise qu’il s’est arrêté sans me demander ma permission.
Discrètement, je le remets en marche et poursuis le jeu des questions-réponses auquel Pierre Arditi se prête de bonne grâce.
Mon regard glisse une nouvelle fois vers l’appareil et là… je découvre qu’il est à nouveau en pause syndicale.
Je termine l’interview, un peu inquiète, écoutant mon interlocuteur me dire qu’il aime beaucoup le public suisse.
Pour la première fois de ma vie je n’ai pris aucune note…
Je suis une scribouillarde incorrigible.
Toutes mes interviews sont effectuées par écrit, y compris lorsque je rencontre des personnalités célèbres.
Mais là… non.
Je laisse Eric prendre ses photos tranquillement, nous prennons congé du comédien, et nous nous dirigeons vers la voiture.
Sur le chemin, n’y tenant plus, j’allume l’enregistreur, remet l’interview au départ et, avec horreur, j’entends ceci:
– « … et je me réjouis de retrouver le public suisse qui me reçoit toujours merveilleusement. »
Je remets le disque au début, réécoute… et réentends la même phrase.
Rien d’autre.
Il s’est avéré que la nuit avait été froide, et que l’appareil l’avait passée dans la voiture.
Les piles avaient dû se décharger…
Jamais, ni avant ni après, je n’ai ressenti ce que j’ai vécu à ce moment-là.
L’impression que j’allais vivre un très, très mauvais moment.
Il ne me restait qu’une solution.
Dans la voiture, de Grenoble à Yvorne, j’ai écrit, écrit…
J’ai retranscrit tout ce que m’avait dit Pierre Arditi, le plus fidèlement possible.
L’article est sorti (il est d’ailleurs sur Ecriplume), m’a valu quelques félicitations.
Personne n’a su que j’avais passé l’un des moments les plus stressants de ma vie professionnelle.
Et certainement pas Pierre Arditi, qui a eu la gentillesse de me suivre sur un terrain d’interview où il ne m’attendait pas.
Martine Bernier