La première fois que j’ai pris l’avion, j’avais 20 ans, et c’était dans des circonstances dramatiques. Je devais rentrer dans mon pays d’origine le plus vite possible, si je voulais revoir ma mère vivante, me disaient ses médecins. Dans ces années-là, prendre l’avion n’était pas aussi courant qu’aujourd’hui. Et le prix des billets était exorbitant.
De plus, ayant le vertige sur un tabouret, j’appréhendais de découvrir par moi-même le bienfondé de la loi de la gravitation de Newton. J’ai donc réuni mes sous, préparé mon sac, embrassé mes proches, fait mon testament (merci de prendre soin de ma guitare et de mes livres… ils le méritent!) et je suis partie à Genève. Avec ce refrain lancinant dans la tête: « Fais ta prière Tom Dooley, demain tu vas mourir…. »
Dans l’avion, il n’était pas question que je montre mon désarroi à qui que ce soit. L’hôtesse, voulant m’être agréable, m’a demandé: « Voulez-vous vous installer près du hublot? Le siège est vide à côté de vous. » J’ai accepté avec un enthousiasme feint. Vraiment très feint. Et dès que je pouvais, je fermais les yeux discrètement.
Quand ce truc volant a décollé, j’ai eu le sentiment très net que mon estomac restait au sol. Je me suis efforcé, pendant la petite heure et demi que durait le vol, de peupler mon esprit de pensées rassurantes. Du genre: « de toute façon, si on tombe, nous n’aurons pas le temps de voir ce qui nous arrive. Et puis mieux vaut partir de mort violente que traîner dans un lit jusqu’à 115 ans… »
Lorsque nous avons atterri et que j’ai retrouvé le plancher des vaches, j’ai compris pourquoi le pape embrassait le sol à chacune de ses descentes d’avion. Ce n’était pas par respect pour la terre qu’il allait fouler, non. C’était de soulagement de pouvoir encore la fouler, justement!
Depuis, j’ai repris souvent l’avion. Moins que certains de mes amis qui, eux, sont de véritables globe-trotter, mais assez pour que je ne puisse plus tenir la comptabilité de mes vols. Avec Eric, j’ai même fait pas mal de montgolfière. Et je vis toujours. Voler est devenu un acte banal. C’est donc sans appréhension que, jeudi, je monterai dans l’avion qui m’emmènera vers la Bretagne.
Et quand je me poserai à Nantes, je saurai pourquoi j’aurai le coeur à l’envers. Ce ne sera pas par peur, non… Ce sera d’émotion. De bonheur à l’idée de retrouver ceux qui m’attendent, de rencontrer celui qui viendra peut-être faire ma connaissance. Et de chagrin à la pensée de celui qui m’a fait tant de mal, sans le moindre remord.
Que celui qui m’attendra à l’aéroport ne se fasse pas de souci: je sais très bien cacher mes émotions…
Martine Bernier