Claude Monet et Edouard Manet se connaissaient depuis à peine deux ou trois ans lorsque, au début de leur carrière, ils ont vécu un épisode difficile de leur amitié, par tableaux et critiques interposés.
C’était en 1865.
Monet retrouvait alors Paris où il tentait de se faire un nom et où il vivait dans des conditions quasi misérables.
Au Palais de l’Industrie, aussi appelé le Palais des Champs-Elysées, devait se tenir le fameux Salon.
Ce « Salon des Refusés » avait été créé par Napoléon III pour que les peintres indépendants, exclus du Salon de peinture et de sculptures où étaient accrochés les peintres académiques, puissent exposer leurs oeuvres.
C’est là qu’est né l’Impressionnisme aux yeux du public…
Afin d’éviter tout favoritisme, les oeuvres avaient été accrochées par ordre alphabétique par un jury soucieux de ne déclencher aucune jalousie parmi les peintres.
Et c’est ainsi que les tableaux de Manet et de Monet se sont retrouvés côte à côte.
Claude Monet présentait deux tableaux représentant des vues de l’estuaire de la Seite.
Manet, lui, exposait cette année « Jésus insulté par les soldats » et « Olympia ».
Monet n’était pas encore arrivé au Salon lorsque les premiers visiteurs, après avoir longuement admiré les deux baies de la Seine, se sont dirigés vers Manet qui patientait devant son « Olympia ». Lui prenant les mains avec enthousiasme, ils l’ont chaleureusement félicité… pour ses marines, ce qui a eu le don de mettre le malheureux peintre dans tous ses états.
Furieux d’être félicité pour des toiles qu’il n’avait pas peintes, alors que les siennes ne récoltaient qu’indifférence, il a quitté le Salon.
Quelques jours plus tard, les critiques de journaux encensant son confrère l’ont plongé dans un océan de désespoir.
D’autant qu’à son égard, les journalistes n’étaient pas tendres:
« Son Christ insulté a l’air d’un vagabond battu par le guet et les soldats romains ressemblent à des coquins en haillons! »
Le tableau d’Olympia, belle femme nue allongée, à laquelle une soubrette apporte un bouquet de fleurs ne trouve pas grâce non plus aux yeux des critiques:
Olympia? C’est une sorte de guenon grimaçant la pose avec une main impudiquement crispée… Une courtisane aux mains sales, aux pieds rugueux… une hideuse négresse… un chat noir qu’une circonstance malheureuse a aplati entre deux tampons de chemin de fer… »
Pauvre Manet…
On se moque de lui, sa provocante Olympia fait scandale…
Deux ans plus tôt, la même critique n’avait pas aimé son « Déjeuner sur l’herbe », titre que Monet reprendra pour baptiser l’une de ses propres compositions.
Cet épisode n’a pas entaché l’amitié des deux hommes qui deviendront les deux peintres majeurs que l’on sait…
Martine Bernier