Week-end: la fin de la disgrâce

Je pense que vivre, c’est venir au monde à plusieurs reprises.
Naissance ou résurrection?
Non… il doit bien exister un troisième mot dans mon cas…
Je cherche.
La renaissance d’un être qui n’est pas intact, plus fragile, plus sauvage, moins confiant, fuyant les prédateurs.
Plus attentif, plus sensible encore à la valeur réelle de ceux qui l’entourent.
Et infiniment reconnaissant à ceux qui ne lâchent pas sa main, authentiques, sincères et solides.
Amis ou amour.

Pendant des années, j’ai détesté les week-end.
J’avais d’ailleurs consacré un texte au sujet.
Il a suffi qu’un Géant aux yeux étranges et beaux accorde son pas sur le mien pour que je révise ma position.
Pour des raisons professionnelles, nous sommes séparés géographiquement pour encore quelques mois.
Mais les week-ends nous permettent de nous retrouver.
Et nous avons tellement de projets, d’envies de lieux à découvrir, à hanter, d’escapades programmées, que l’agenda risque bien de se remplir pour plusieurs mois…
Ces fins de semaine qui me semblaient interminables sont devenues les journées les plus courtes.
Des journées où le temps s’emballe.
Dès le vendredi soir, chaque minute est soignée, dorlotée.
Tout est mis en place pour que chaque instant soit habité, rendu inoubliable.
La magie, c’est le choix des mots, la délicatesse des termes, des gestes.
C’est un art à glisser dans chaque heure pour éviter l’habitude et la poussière du temps.

Lorsqu’Il est là, notre vie est riche.
Nous nous réservons du temps, nous sortons, nous rencontrons des gens que nous aimons.
Sa personnalité est forte et attachante, il est apprécié.
Et le Temps s’emballe…

Dimanche soir, nous n’avons pu répondre à une invitation: la route qui menait à Evian était fermée pour trois jours, il n’était pas possible de s’y rendre autrement qu’en faisant un détour énorme nous faisant traverser les deux tiers de la Romandie.
Partie remise à la semaine prochaine.
Nous avons décidé d’aller dîner au bord du lac, à un jet de pierres de chez moi.
La serveuse nous reconnaît déjà, se souvient de notre façon de fonctionner.
Notre table était si proche de l’eau que nous pouvions jeter notre pain aux canards et entendre le clapotis des vaguelettes à nos pieds.
J’ai une conscience profonde de la chance qui nous est donnée de vivre des moments aussi privilégiés dans de tels endroits.
La beauté du Léman m’a permis de supporter l’absence de l’Atlantique, qui me manque pourtant toujours.
J’aime l’eau, il préfère la montagne.
Dans cet écrin naturel, nous profitons des deux paysages.
La nuit est tombée doucement…
Tout était paisible.
Un moment hors du temps.

Tout change lorsqu’il déserte l’appartement.
La cuisine se rendort, oublie pour quelques jours les parfums et les saveurs, les petits plats qu’il y mijote d’un air attentif et sérieux.
Il ne fait plus irruption dans la pièce où je travaille, affichant un air modestement triomphant en apportant une casserole de pêches de vigne cuites pour me les faire goûter devant mon clavier…

Pomme se languit des jeux qu’elle partage avec lui, parcourt l’appartement en traînant les pattes d’un air nostalgique.

Dans mon bureau, la chaise qu’il a posée dans un coin attend près de la fenêtre qu’il revienne s’y installer avec un livre, interrompant de temps en temps sa lecture pour me regarder écrire.
Mon regard se pose sur les objets et les affaires personnelles qu’il a semés dans chaque pièce pour me rappeler qu’il reviendra.
Dans la chambre, son chapeau patiente, posé sur l’armoire.
Hormis le fouet (je n’apprécierais pas!), il a le look d’Indiana Jones, mon Géant.
Un look qu’il n’a pas étudié, qui lui est aussi naturel qu’il peut l’être au quotidien, et qui convient à son physique de baroudeur.
Un physique qui correspond à la vie qu’il a menée.

Entre mes livres et mes objets, s’intercalent désormais des touches de vie différentes.
Il prend sa place, doucement.
Et me fait rire…
Posant une bouteille d’eau-de-vie sur un secrétaire, à côté d’un « pleurant » copie conforme de ceux du Moyen Age, et s’extasiant devant la beauté du flacon… avant de le retirer à toute vitesse, en souriant devant ma réaction consternée.
Sacrilège!!!

Trois heures et demie du matin, le réveil sonne.
Il doit partir à 4 heures pour reprendre son poste au matin.
La route est longue…
Depuis le balcon, je regarde sa voiture s’enfoncer dans la nuit.
Je sais qu’il est aussi triste que moi.
Pomme gémit, elle ne comprend pas.
Elle s’est attachée à celui qu’elle semble prendre pour un immense jouet vivant qu’elle adore provoquer, dont elle défie l’autorité, et avec lequel elle sort se balader sans se faire prier.
Elle paraît minuscule lorsqu’elle trottine à côté de lui.
Et si triste lorsqu’il s’en va.

La voiture s’arrête devant le balcon d’où je guette son passage en grelottant.
Derniers mots à voix basse pour ne pas réveiller le voisinage, derniers gestes, derniers regards.
La lueur des phares s’éloigne dans l’obscurité.
Pas moyen de me rendormir, je me mets au clavier et j’écris.

Martine Bernier

 

par

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *