Lorsque j’étais enfant,nous vivions dans la même maison que ma grand-mère maternelle.
C’était une femme courageuse au caractère fort, surnommée « La Reine Mère », dont certains comportements me fascinaient.
Elle ne pouvait plus se déplacer en raison d’un problème de santé et passait beaucoup de temps devant la télévision, regardant avec délices les pièces en patois diffusées le samedi.
Pièces auxquelles je ne comprenais pas le moindre mot.
Lorsqu’elle se laissait aller, ma grand-mère utilisait un langage que je ne comprenais pas.
En Belgique, où j’ai passé mes premières années, je me débattais avec l’apprentissage du Néerlandais, pour lequel je n’étais franchement pas douée.
Mais ce n’était pas cette langue qu’elle utilisait.
Elle parlait une sorte de patois parsemé de mots bruxellois.
Que l’on ne parlait pas chez mes parents, et encore moins à l’école.
J’étais déjà sensible à la beauté de la langue française, à l’étymologie des mots.
Lorsque mon aïeule se lançait dans ses phrases incompréhensibles pour moi, elle me plongeait dans un abîme de perplexité.
Un soir où j’étais auprès d’elle et qu’elle regardait sa télévision noir et blanc, elle m’a prise à témoin, très fâchée sur l’un des intervenants, et s’est écriée: « Comment veux-tu que ça marche avec un zieverer pareil?! »
Prononcez « zi-ve-rère ».
Le mot m’a tellement amusée que je l’ai noté.
Les mots bruxellois ressemblaient à des OVNI dans mon ciel.
Il me fallait plus d’explications.
J’ai donc demandé à ma grand-mère:
– Dis… qu’est-ce que cela veut dire, « zieverer »?
Elle m’a regardée comme si je tombais de la Lune et a haussé les épaules.
– Un zieverer… c’est un zieverer!
Ah.
Oui, bien sûr…
J’ai glissé:
– Et ça s’écrit comment?
Cette fois, elle m’a scrutée avec inquiétude:
– Enfin, Martine! Zieverer, ça ne s’écrit pas, ça se dit!
Le samedi, en tant qu’aînée de sa fratrie, elle recevait la visite rituelle de ses frères et soeurs, venus partager une tasse de café et un morceau de gâteau au riz.
On s’y racontait les derniers potins, les nouvelles de chacun.
Ce samedi-là, alors que faisais passer le sucre parmi ses invités, j’ai entendu a grand-mère expliquer à l’une de ses soeurs:
– Elle m’inquiète, la petite. J’ai parfois l’impression qu’elle ne comprend pas le français…
Martine Bernier
1 réflexion sur “Mes aïeux: Ma grand-mère et le français”
Elle avait raison ta grand-mère: un zieverer c’est un zieverer.
Chez nous c’était un zieverore!