A chaque fois, cela me retourne le coeur.
Ce 16 octobre, vers 3 heures du matin, le musée Kunsthal, à Rotterdam, a été victime d’un vol, l’un des plus important à travers le monde depuis dix ans.
Sept toiles ont été volées, parmi lesquelles des oeuvres de Picasso, Matisse, Gauguin, Meyer de Haan, Lucian Freud et… Monet.
Le musée, qui fêtait ses 20 ans, exposait pour la première fois 150 toiles de la Fondation Triton, l’une des plus connues au monde pour la richesse de ses collections.
Il n’y avait pas de gardiens dans le musée, mais une surveillance vidéo avait été spécialement posée pour l’occasion.
Les voleurs se sont joué des systèmes d’alarme, et ont notamment emporté la « Tête d’Arlequin » de Picasso, « La Liseuse en blanc et jaune » de Matisse, « La Femme devant une fenêtre ouverte, dite la Fiancée » de Gauguin.
Et deux Monet dont la disparition me cause un véritable chagrin.
Il s’agit du célèbre « Waterloo Bridge » et du « Charing Cross Bridge ».
Pour quoi, ou plutôt pour qui?
Les mêmes interrogations reviennent à chaque fois…
Des tableaux aussi connus, qui valent des millions de dollars, sont invendables.
Existe-t-il vraiment des collectionneurs escrocs assez fous et assez riches pour commanditer des vols pareils?
Monet a peint le « Waterloo Bridge » lors d’un séjour de plusieurs mois à Londres, entre 1900 et 1901.
Il aimait peindre les ponts qui enjambaient la Tamise…
Si la lumière filtrant à travers la brume londonienne le fascinait, il avait pourtant toutes les difficultés du monde à la travailler.
Les changements de temps et de tons étaient si rapides sur la capitale qu’il avait commencé plusieurs toiles en même temps, chacune correspondant à un changement de couleur, de luminosité.
Une anecdote raconte qu’un jour, son ami John Singer Sargent avait été très surpris de le voir fouillant parmi un nombre impressionnant de toiles (84 disait-il!) pour trouver celle qui correspondait à l’effet qui venait de changer alors qu’il travaillait sur une autre.
Sargent avait peint un portrait de Monet dans son bateau-atelier à Argenteuil.
Et bien qu’il soit assez mondain, il formait un duo très soudé avec Claude Monet lorsque celui-ci travaillait à Londres, l’emmenant visiter des expositions et découvrir tout ce qui pouvait être vu.
Les versions du « Waterloo Bridge » et du « Charing Cross Bridge » déclinent les différentes atmosphères du jour, comme le maître de Giverny savait si bien le faire.
Les rayons du soleil qui percent dans le brouillard, les couleurs pastel qui s’y mélangent: cette série de tableaux est magnifique.
L’an dernier, lorsque la Fondation Gianadda a présenté sa superbe exposition consacrée à Monet, nous avions pu voir « Waterloo Bridge, effet soleil », qui fait partie d’une collection zurichoise.
Dans une lettre écrite à Alice depuis Londres, Monet écrivait ceci:
« Ce matin, au petit jour, il y eut un brouillard extraordinaire, tout à fait jaune.
J’en ai fait une impression pas mal, je crois: c’est toujours beau, du reste, mais si changeant: aussi ai-je commencé beaucoup de toiles du pont de Waterloo et du Parlement (…°
Depuis que je suis ici, en dehors des pastels, je ne travaille qu’au pont de Waterloo, une dizaine de toiles.
De cette manière, j’ai un moins grand nombre de toiles à surveiller et ça va mieux, mais je serai bien content lorsque j’en aurai quelques-unes d’à peu près au point.
C’est si difficile… »
( Lettre publiée dans le catalogue de l’exposition « Monet au Musée Marmottan et dans les collections Suisses » de la Fondation Pierre Gianadda.)
J’ignore quelles versions de ces tableaux ont été volées à Rotterdam.
Mais j’espère que les limiers de la police néérlandaise retrouveront rapidement ces tableaux dérobés.
En espérant qu’ils ne rejoindront pas le musée virtuel des oeuvres à jamais disparues…
Martine Bernier