Une ou deux fois pas année, lorsque la belle saison puis la canicule s’installent, Pomme, mon bichon havanais change de look.
Je la connais par coeur, ma Mogwaï.
Je sais ce qu’elle aime et ce qu’elle n’aime pas.
Le toilettage fait partie de ses craintes.
Dès l’instant où elle est entrée dans ma vie, je me suis promis de ne jamais lui faire supporter des moments difficiles justifiés par des caprices esthétiques typiquement humains dont les chiens n’ont que faire.
Scotty, ma précédente petite chienne Scotish Terrier, avait subi toute sa vie les séances de toilettage comme autant d’épreuves.
Pas question que Pomme passe par le même chemin.
J’ai donc décidé que c’est moi qui m’occuperais d’elle pour ce genre de détail, et que nous ferions de ces séances des moments de jeux et de câlins maison.
Profitant d’un soir de cette semaine où nous étions seules, je lui ai dit:
– Pomme? On va faire une belle Popomme? (oui, je sais, je gâgatise facilement avec elle. Un tort: elle ne parlera jamais correctement.)
Phrase clé.
Elle m’a regardée en penchant la tête sur le côté, m’a suivie tandis que je préparais une table, mes ciseaux et la brosse pour la séance.
– Et après, tu auras une récompense!
C’était les mots qu’elle attendait.
Elle est venue se mettre à ma portée, s’est laissée poser sur la table.
La séance a commencé.
Lors de cet exercice, nous assistons à un phénomène étrange.
J’agis et je parle comme si je n’étais pas moi.
Coiffeur, sors de ce corps!
Je coupe, j’égalise, et je parle, parle, parle…
– C’était le moment; ton pelage est vraiment trop long…
Tu dois mourir de chaud, là dessous?
Tu verras, ça ira mieux après, et tu seras belle à croquer.
Tu te souviens, la semaine passée, quand tu m’a ramené un gros morceaux de branche de sapin dans tes poils?
Et bien là, ça n’arrivera plus.
Attends, ne bouge pas, tu as un noeud, là.
Hop, fini, ni vu ni connu!
Je suis partie pour te faire la coupe Spirou, comme la dernière fois, ça te va?
Elle t’allait plutôt bien.
Tu permets que je te prenne la patte?
Non non, pas de panique, ça ne fera pas mal.
Et puis après, tu auras un biscuit!
Son oreille bouge, ses yeux me fixent, elle affiche un air intéressé.
– Tu voudras quel biscuit? Mmmm?
Le plus gros: ne soyons pas chiches…
Attention, ne bouge pas, je vais égaliser ta moustache.
On va éviter de trop toucher à ta frimousse, d’accord?
D’abord parce que tu n’aimes pas ça, et puis parce que tu me fais craquer avec ta petite tête ronde.
Je penche la tête vers elle:
– Pomme? Tu m’aimes toujours?
Un petit coup de langue sur le nez me rassure.
Je la chatouille, la caresse, la cajole: notre séance dure une bonne heure.
Le dernier coup de ciseau donné, je la brosse et lui remets son collier-foulard avant de la poser par terre.
Comme promis, elle reçoit sa récompense pendant que je nettoie notre coin toilettage.
Par un miracle que je ne m’explique pas vraiment, à chaque fois que l’un de mes chiens sort de ce genre d’exercice, il change de personnalité, je l’ai déjà expliqué ici.
Pomme n’échappe pas à la règle.
Coupe Spirou? Elle devient donc un Spirou.
Je la regarde.
Elle a encore rajeuni!
Plus svelte, plus légère, rigolote, elle paraît plus joyeuse, court dans tous les sens, ramenant à chaque fois un jouet différent, file vers sa gamelle, attrape une croquette qu’elle va manger dans un coin du couloir, revient au galop réclamer une caresse en s’étirant de tout son long contre ma jambe…
Le lendemain matin, alors que mon Capitaine dort encore, elle attend visiblement son réveil en faisant des aller-retours chambre/bureau.
Dès qu’elle le voit, elle remue la queue, donne l’impression de se montrer plus que d’habitude.
Sur mon conseil, il s’extasie, la complimente comme il se doit, ce qui déclenche chez elle une joie sans limite.
Quand elle revient dans mon bureau pour me faire un compte-rendu muet mais très expressif, je ne peux pas m’empêcher de lui dire, en la caressant:
– Non mais toi, franchement… une vraie petite nana!
Martine Bernier