Je devais avoir 12 ou 13 ans lorsque ma mère a cédé à l’un de mes voeux en m’offrant une petite radio.
Elle était minuscule: exactement ce que je voulais.
Mon but était de peupler mes nuits qui commençaient à me poser problème.
Je n’avais évidemment pas le droit de lire ou d’écouter la radio à partir d’une certaine heure, mais j’avais mon plan.
Je faisais semblant de dormir lors du passage de ma mère destiné à contrôler si j’obéissais.
Je ne bougeais pas une oreille pendant un temps infiniment long.
Puis, vers 21h45, j’allumais doucement ma radio, potentiomètre réglé au minimum, et je me branchais avec délice sur les émissions qui me ravissaient.
Je commençais par RTL et « Les Routiers sont sympas » où la voix chaleureuse de Max Meynier faisait merveille.
Je l’écoutais parler avec ses auditeurs comme s’il était leur ami de toujours.
Puis, à 22 heures, arrivait l’heure de la Grande Messe: Le Pop Club de José Artur, sur France Inter.
Je ne le ratais jamais.
Chaque soir, jusqu’à 23h30, je me rendais à son rendez-vous.
J’imaginais un bar chic, très enfumé (ce qui était le cas), le maître de cérémonie à son micro et les invités se succédant à ses côtés.
La télévision m’offrait les émissions de Jacques Chancel, la radio était José Artur à mes yeux, comme l’étaient Bouvard, Meynier, Luc Varenne pour la Belgique, et quelques autres.
Lui aussi était très cultivé, spirituel, parfois mordant, toujours ironique.
Mais grâce à lui je découvrais une infinité de choses…
Je prenais des notes sous les couvertures, à la lueur d’une lampe de poche, puis, le lendemain, je filais à la bibliothèque pour trouver des livres ou des magasines sur des gens ou des événements dont j’avais entendu parler mais que je ne connaissais pas.
J’aimais tellement la variété de son émission que j’ai acheté à l’époque l’un de ses livres, « Micro de Nuit », que j’ai tellement lu et relu qu’il est tombé en ruine et qu’il m’a fallu le racheter, en édition de Poche, cette fois.
J’ai regardé la date de parution hier soir: c’était en 1974.
J’avais 15 ans lorsque je l’ai lu, bien moins quand j’ai commencé à l’écouter.
José Artur était pour moi le digne successeur de celles et ceux qui tiennent salon à Paris depuis des siècles.
Je l’ai écouté jusqu’à ce que je quitte la Belgique.
Vous l’avez sans doute appris, il est décédé hier.
Je lui suis reconnaissante de m’avoir appris tant de choses.
Et pour ceux qui ne le connaîtraient pas, je voudrais recopier ici quelques lignes qu’il a écrites dans ce livre « Micro de Nuit » que j’ai tant aimé.
C’était son style, sa façon à lui de parler avec légèreté.
« Je suis né le 20 mai 1927 à 4 heures du matin, le jour même où Lindbergh devait s’élancer au-dessus de l’Atlantique à bord de son Spirit of Saint Louis, dans l’enthousiasme général, ce qui explique que ma naissance soit passée inaperçue des masses laborieuses.
José Artur, je vous jure que c’est mon vrai prénom et mon vrai nom.
Ceux qui veulent me faire de la peine m’écrivent « Joseph Arthur ».
Je m’appelle Artur parce que c’est le nom de mon père, qui était marin.
Nous étions neuf enfants, il avait eu droit à neuf escales dans sa vie, entre 1917 et 1931.
Je me prénomme José.
Ma mère, éprise d’opéra, avait vu la veille de ma naissance « Carmen », qui aurait été mon prénom si j’avais été une fille, et que le ténor chantait fort bien dans le rôle de « Don José ».
J’aurais pu aussi bien m’appeler Mârouf ou Schéhérazade, ou même Mignon.
Finalement, je ne m’en suis pas mal tiré.
Breton par mon père, nous sommes tous un peu zinzins du côté de ma mère.
Moi-même, je ne suis pas tout à fait normal.
Mas je suis le seul de la famille à avoir su exploiter matériellement ce grain de folie douce qui était le charme prodigieux de ma grand-mère maternelle.
Elle a été mon premier amour et, à sa mort, quand j’avais neuf ans, mon premier chagrin secret.
Dans ma famille, on pleure rarement devant les autres: ça ne fait pas distingué. »
Martine Bernier