Joséphine

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J’avais 5  ou 6 ans lorsque, un jour qu’elle lui apportait le lait, ma grand-mère a demandé à la laitière, quels animaux elle avait dans la ferme qu’elle possédait avec son mari.
Ce dernier gérait en même temps une laiterie et tous deux à tour de rôle livraient leurs produits laitiers.
Elle lui avait répondu qu’ils avaient des vaches, bien sûr, quelques cochons, des poules, des canards, un cheval et… une chèvre.
Lorsqu’elle a entendu le mot chèvre, ma grand-mère a sursauté:
– Une chèvre? C’est inutile ces bêtes-là.
Elle avait connu la guerre et semblait accorder plus d’estime à certains animaux qu’à d’autres.
La conversation en était restée là, mais avait semé un grand point d’interrogation dans ma petite tête d’enfant.
Car une chèvre, moi… je n’en avais encore jamais vu.
Il faut dire qu’en plein Bruxelles, elles se faisaient rares.

Je fantasmais donc sur cet animal, posant des questions à tout va.
Jusqu’au jour où mon père, qui m’emmenait d’habitude à pied chez le marchand de nourriture pour oiseaux, m’a annoncé que, cette fois, nous nous y rendrions en voiture.
Après que nous ayons été acheter la pâtée des oiseaux, nous sommes remontés dans la voiture… et il a pris une route que je ne connaissais pas.
Je le bombardais de questions auxquelles il ne répondait que par des plaisanteries.
Et nous sommes arrivés… à la ferme, que je n’avais jamais visitée.
La laitière était là, souriante.
Papa lui a expliqué qu’il voulait acheter du babeurre pour ma grand-mère qui en raffolait.
Puis il lui a demandé si elle serait d’accord de me montrer la fameuse chèvre.
Elle a accepté presque joyeusement, elle qui nous avait expliqué que son mari n’aimait pas l’idée d’avoir une chèvre, lui non plus.
Nous avons d’abord été voir les vaches, puis les cochons, les poules, les canards…
J’avais le coeur en ébullition: j’allais rencontrer un animal que je ne connaissais pas.
Et…
Dans un pré se trouvait le cheval, accompagné d’une créature absolument irrésistible.
La laitière nous l’a présentée:
– Voilà Joséphine. Je lui ai donné le prénom de ma grand-mère.

Joséphine était une jeune chèvre blanche, qui semblait afficher un sourire perpétuel.
Très curieuse, elle est venue à notre rencontre, s’est laissée caresser, semblait ravie d’avoir de la visite.
J’ai passé un long moment à jouer avec elle, séduite par ce personnage sautillant et facétieux qui semblait considérer mes cheveux comme un repas de choix.
C’est ce jour-là qu’est né pour moi l’affection très particulière que je voue à toutes les chèvres en général.
Quelques jours plus tard, mon père a ramené la maison le livre de Daudet « La chèvre de Monsieur Seguin », et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps en découvrant sa fin tragique.

Cette histoire, mon Capitaine qui, lui, a eu une enfance de petit campagnard, ne la connaissait pas.
C’est dire si j’ai été touchée lorsqu’un jour, il m’a dit: « Si un jour nous avons notre maison avec un jardin, j’aimerais bien y mettre une ou deux chèvres naines… »

Martine Bernier

 

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